Un premier sommet Trump-Poutine devrait avoir lieu cet été en territoire « neutre »
Un premier sommet Trump-Poutine devrait avoir lieu cet été en territoire « neutre »
Par Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
Les deux parties sont parvenues à cet accord, mercredi, à l’occasion de la visite à Moscou de John Bolton, envoyé spécial de la Maison Blanche.
Vladimir Poutine et Donald Trump, à Hambourg (Allemagne), en juillet 2017. / Evan Vucci / AP
La date et le lieu – dans un « pays tiers », en territoire neutre mais « très pratique pour la Russie comme pour les Etats-Unis » – devraient être annoncés conjointement jeudi 28 juin. Du moins le principe d’une rencontre exclusive entre Vladimir Poutine et Donald Trump, qui ne se sont jamais vus qu’en marge de sommets internationaux – la dernière fois en novembre 2017 au Vietnam –, est-il acquis. « Ce sera le sommet international le plus important de cet été », a promis Iouri Ouchakov, conseiller diplomatique du Kremlin. Les deux parties sont parvenues à cet accord, mercredi, à l’issue de plusieurs heures de discussions avec John Bolton, envoyé spécial de la Maison Blanche.
La présence à Moscou du secrétaire à la sécurité du président américain, malgré son profil de néoconservateur partisan d’une ligne dure sur tous les sujets internationaux, en particulier sur le dossier nord-coréen et la sortie de l’accord nucléaire avec l’Iran, mais aussi, jusqu’ici, sur la Russie, était attendue. La dernière visite ici d’un officiel américain, en l’occurrence l’éphémère secrétaire d’Etat Rex Tillerson, remonte au mois d’avril 2017. Depuis, plus rien. L’annexion de la Crimée, le conflit en Ukraine, les accusations d’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine de 2016, la situation en Syrie et les attaques chimiques du régime de Bachar Al-Assad, allié de Moscou, contre sa population, n’ont cessé, année après année, de dégrader la relation bilatérale.
Sur le front syrien, le moment choisi pour mettre au point la rencontre entre les deux chefs d’Etat était sans doute propice. Washington a récemment signifié aux rebelles de Deraa, au sud de la Syrie, soumis à d’intenses bombardements de l’aviation russe, qu’ils ne devaient pas s’attendre à un soutien militaire, malgré la délimitation d’une zone de « désescalade » conclue un an plus tôt avec la Russie. Les frappes de la coalition Etats-Unis-France-Angleterre menées en avril contre Damas en représailles à une attaque chimique sont remisées, tout comme la confrontation armée sur le terrain, en février, entre des mercenaires russes et des forces kurdes soutenues par des militaires américains.
« Des premiers pas… »
« Votre venue à Moscou nous donne l’espoir que nous serons en mesure de faire des premiers pas pour rétablir des relations complètes entre nos Etats, a déclaré mercredi Vladimir Poutine en accueillant son hôte. Malheureusement, a-t-il poursuivi, je suis obligé de constater que les relations russo-américaines ne sont pas au meilleur de leur forme. Mais comme je l’ai déjà dit, et je le répète ici, c’est en grande partie le résultat d’une lutte interne acharnée aux Etats-Unis. La Russie n’a jamais cherché la confrontation. »
En plein déroulement de la Coupe du monde de football sur son territoire, le chef du Kremlin n’a pu s’empêcher de conclure ces propos préliminaires par un conseil aux Etats-Unis, futur pays hôte, avec le Canada et le Mexique, du Mondial 2026. « Nous partagerons avec plaisir notre expérience avec vous », a-t-il glissé avec le sourire.
« Même dans le passé, lorsque nos pays connaissaient des divergences, nos dirigeants et leurs conseillers se rencontraient et je pense que c’était bénéfique pour les deux pays, bénéfique pour la stabilité mondiale et le président Trump a cela à cœur », a opiné M. Bolton sans se départir de sa raideur sous sa légendaire moustache. Tous les sujets sensibles devraient être abordés lors du futur sommet qui devrait comporter, selon les détails fournis par M. Ouchakov, un tête-à-tête, un repas de travail, une conférence de presse commune et une déclaration conjointe des deux parties. Mais rien de ce qui fâche n’a réellement compté mercredi.
Les sanctions contre la Russie, durcies ces derniers mois par l’administration Trump, avec l’introduction, en avril, de nouvelles mesures restrictives contre vingt-quatre oligarques et personnalités proches du Kremlin et quatorze groupes russes, n’ont pas été abordées. Même l’Ukraine « n’a pas été le thème principal des pourparlers », selon le conseiller en politique étrangère de M. Poutine. Quant aux accusations d’ingérence dans les élections américaines, au sujet desquelles M. Bolton n’avait pas ménagé ses critiques, « il a été clairement rappelé que l’Etat russe n’était pas intervenu, n’intervient pas et n’interviendra pas » dans les élections à mi-mandat de M. Trump, en novembre prochain. Point.
« Sonder l’état d’esprit de son interlocuteur »
« Pour Poutine, il est important de sonder l’état d’esprit de son interlocuteur et de positionner la Russie comme un partenaire incontournable des Etats-Unis », souligne Fiodor Loukianov, président du Conseil russe pour la politique étrangère et de défense, cité par l’agence Interfax. Selon cet expert, toutefois, « il n’y aura aucune percée et il ne peut pas y en avoir ». « Des changements qualitatifs nécessitent du temps, explique-t-il, et ces derniers ne sont possibles que si la volonté des dirigeants se combine avec [celle] des élites politiques. »
Les tentatives de réchauffement entre Moscou et Washington n’en sont, il est vrai, pas à leur premier essai. En avril 2008, un mois avant de céder, du moins officiellement, la présidence à son premier ministre Dmitri Medvedev, Vladimir Poutine avait négocié avec George W. Bush une « déclaration sur le cadre stratégique des relations russo-américaines ». Le document, signé à Sotchi, sur les bords de la mer Noire, avait permis de dresser un état des lieux complet (armement, diplomatie, coopération, etc.) avant de sombrer dans les oubliettes. Trois mois plus tard, en août 2008, la guerre éclair contre la Géorgie avait en effet remis les compteurs à zéro. Le « reset », la remise à plat des relations bilatérales, opérée par Barak Obama à son arrivée à la Maison Blanche en 2009, avait également fait long feu.
Très actif, l’ambassadeur américain en Russie, John Hunstman, un républicain nommé par Donald Trump après son élection, s’emploie désormais à faire venir, prochainement, des sénateurs en Russie. En décembre 2017, la dernière tentative, ici aussi, s’était soldée par un fiasco. Dans le groupe pressenti, la sénatrice démocrate du New Hampshire Jeanne Shaheen s’était vue refuser son visa par Moscou. Cette fois, cependant, les élus ne devraient comprendre que des républicains.
Interrogé mercredi soir lors d’une conférence de presse dans les locaux de l’agence Interfax pour savoir si tous les sujets difficiles avec Vladimir Poutine, comme le MH17 abattu par un tir attribué aux forces pro-russe au-dessus de l’Ukraine en 2014, seraient abordés par Donald Trump lors du futur sommet, M. Bolton a répondu avec irritation que « toute la gamme » le serait. Les préparatifs devraient encore durer quelques semaines. Le cadre, sans doute une capitale européenne, la date, mi-juillet selon toute vraisemblance, sont déjà déterminés.