La justice européenne refuse le « droit à l’oubli » numérique à deux condamnés pour assassinat
La justice européenne refuse le « droit à l’oubli » numérique à deux condamnés pour assassinat
Par Martin Untersinger
Deux Allemands condamnés il y a vingt-cinq ans voulaient que soient supprimés leurs noms d’archives de presse en ligne.
La CEDH, le 14 octobre 2014. / FREDERICK FLORIN / AFP
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a débouté, dans un arrêt rendu jeudi 28 juin, deux Allemands condamnés pour meurtre et qui souhaitaient que des médias retirent leur nom de leurs archives accessibles sur Internet.
Le site d’une radio publique allemande, l’hebdomadaire Der Spiegel et le Mannheimer Morgen, un journal local, avaient été assignés en justice par ces deux Allemands, condamnés en 1993 pour l’assassinat d’une célébrité. Ces derniers réclamaient que les articles les concernant, archivés, soient anonymisés, afin que leur condamnation ne les poursuive pas une fois leur peine purgée. Les deux plaignants ont mis en avant le fait qu’avec l’émergence des moteurs de recherche, il était très facile en saisissant leur nom d’aboutir sur les articles incriminés.
La justice leur a d’abord donné raison
Après avoir vu la justice leur donner raison en première instance et en appel, les deux protagonistes ont essuyé une défaite devant la Cour fédérale de justice, l’équivalent de la Cour de cassation, et porté leurs demandes devant la CEDH. Cette dernière a estimé que la Cour allemande n’avait pas méconnu le droit à la vie privée des deux demandeurs, ou plutôt que la liberté de la presse, dans ce cas, prévalait.
Pour la cour, dans ce cas précis, demander à un organe de presse d’anonymiser ses archives enfreint à la fois le droit du public à « faire des recherches sur des événements passés », mais aussi la liberté de la presse, estimant que la simple décision de maintenir ou non un nom dans un article est une prérogative journalistique pleine et entière.
La cour s’est bornée à avaliser l’analyse faite par la Cour fédérale de justice allemande, estimant que les Etats disposaient « d’une marge d’appréciation » pour juger des faits similaires. Elle a ainsi noté les cas particuliers de l’affaire qui lui était soumise : les deux plaignants avaient tout fait, en 2004 lors d’une tentative de révision de leur procès, pour médiatiser à nouveau leur affaire ; les articles incriminés étaient payants et donc difficilement accessibles ; et les deux demandeurs n’avaient pas dit à la cour s’ils avaient demandé aux moteurs de recherche de supprimer les articles de leurs résultats. Et qu’à ce titre, la justice allemande avait bien équilibré les deux principes que sont la liberté de la presse et le droit à la vie privée.
Responsabilité particulière des moteurs de recherche
La cour a insisté sur la responsabilité particulière des moteurs de recherche, dont l’« effet amplificateur » justifie que leur responsabilité soit « différente de l’éditeur », qui publie l’article. Autrement dit, la justice allemande aurait pu donner raison aux demandes de ses citoyens si cette dernière avait été dirigée vers les moteurs de recherche plutôt que vers les médias.
Cette approche épouse la forme de « droit à l’oubli numérique » déjà reconnu par l’Union européenne. Il s’agit du droit au déréférencement, reconnu par la Cour de justice de l’Union européenne en 2014. Ce dernier prévoit que les internautes puissent retirer des moteurs de recherche des liens vers certaines informations personnelles, et a conduit les principaux acteurs du secteur à mettre en place des procédures en ce sens. Google a depuis reçu un peu moins de 700 000 demandes. Le règlement général sur la protection des données personnelles, appliqué depuis la fin mai, a inscrit explicitement ce droit dans les textes européens.