Après les particules fines ou le dioxyde d’azote, qui n’ont désormais quasiment plus de secrets pour eux, les Français vont devoir se familiariser avec le 1,3-butadiène, et surtout s’en méfier. Contrairement aux deux premiers polluants, cette substance au nom barbare ne fait en effet pas l’objet d’une surveillance réglementée dans l’air et n’est pas soumise à des valeurs limites d’exposition.

Le 1,3-butadiène est pourtant classé cancérogène certain pour l’homme depuis 2012 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). « Il est particulièrement problématique car il attaque plusieurs sites de l’organisme : poumons, moelle osseuse, système lymphatique… », détaille Valérie Pernelet-Joly, cheffe de l’unité d’évaluation des risques liés à l’air à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Issu d’une combustion incomplète, ce gaz très toxique est émis par des sources très diverses : fumée de cigarette, échappements des moteurs automobiles, chauffage ou encore par les activités industrielles spécialisées dans la fabrication du plastique et du caoutchouc.

« Suivi renforcé »

Plusieurs campagnes de mesures ponctuelles en France ont montré des dépassements fréquents de sa valeur toxique de référence (VTR). Aussi, dans un avis rendu jeudi 28 juin, l’Anses recommande-t-elle une « surveillance nationale » du 1,3-butadiène. Un premier pas vers son rajout à la liste des treize substances (comme les particules fines, le dioxyde d’azote, l’ozone, le plomb ou le dioxyde de soufre) aujourd’hui réglementées en France. C’est déjà le cas au Royaume-Uni et en Hongrie, deux pays où il existe des valeurs repères de concentration dans l’air.

« Ce sera désormais au gouvernement de porter cette position au niveau européen », explique Valérie Pernelet-Joly. La Commission européenne a en effet engagé il y a un an la révision de la directive de 2008 sur la surveillance de la qualité de l’air. Elle devrait aboutir fin 2019.

L’évolution des connaissances sur la toxicité des substances et de leurs émissions dans l’atmosphère révèle en effet que certains polluants pouvant avoir un impact potentiel sur la santé ne sont aujourd’hui pas pris en compte dans les normes de qualité de l’air.

C’est dans ce contexte que l’Anses avait été saisie par les ministères de l’écologie et de la santé afin de proposer une liste de nouveaux polluants prioritaires. Au total, l’Agence en a identifié treize. Outre la surveillance du 1,3-butadiène, le rapport préconise un « suivi renforcé » des particules ultrafines (PUF) et du carbone suie, « compte tenu de leurs enjeux potentiels en termes d’impacts sanitaires ».

Polluants « émergents »

A la différence des particules fines inférieures à 10 micromètres (µm) de diamètre (PM10) et inférieures à 2,5 µm (PM 2,5), les PUF (inférieures à 0,1 µm) ne sont pas réglementées. Ce sont pourtant les plus dangereuses car elles pénètrent dans le sang et peuvent atteindre le cerveau ou traverser le placenta des femmes enceintes et menacer le fœtus.

Emises par les moteurs diesel principalement ou par le chauffage résidentiel, les particules de carbone suie inquiètent aussi les experts de l’Anses. « [Il] a des effets très toxiques, alerte Valérie Pernelet-Joly. Il se comporte comme un aimant autour duquel vont s’accumuler les métaux et les HAP [hydrocarbures aromatiques polycycliques] qu’il va emmener jusqu’aux cellules pulmonaires. »

Contrairement au 1,3-butadiène, il n’existe pas de valeur toxique de référence pour les particules ultrafines et le carbone suie. « Mais il existe des signaux suffisamment importants dans la littérature scientifique pour qu’on les inscrivent à la liste des substances réglementées », précise la cheffe de l’unité des risques liés à l’air de l’Anses.

Les dix autres polluants « émergents » jugés prioritaires sont, par ordre de « risque », le manganèse, le sulfure d’hydrogène, l’acrylonitrile, le 1,1,2-trichloroéthane, le cuivre, le trichloroéthylène, le vanadium, le cobalt, l’antimoine et le naphtalène.

Créer une banque nationale de données

Dans leur cas, le rapport de l’Agence souligne que des dépassements de VTR peuvent être observés dans des contextes particuliers (industriels notamment) et recommande de conduire des campagnes de mesures complémentaires afin d’étudier l’exposition des populations à proximité des sources d’émission.

A l’instar du 1,3-butadiène, le trichloroéthylène, l’acrylonitrile ou le sulfure d’hydrogène font déjà partie des polluants placés en tête de liste par l’Organisation mondiale de la santé pour une mise à jour de ses valeurs guides de l’air ambiant.

Pour établir cette liste de treize substances prioritaires, les experts de l’Anses ont passé au tamis 557 polluants selon deux critères : leur occurrence dans l’atmosphère et leur dangerosité intrinsèque. Pour l’ensemble de ces polluants actuellement non réglementés, l’agence préconise la création d’une banque nationale de données des mesures existantes.

Dans le cas particulier des pesticides, l’Anses vient de lancer une première campagne nationale de mesures dans l’air : près de 90 substances seront recherchées pendant un an parmi lesquelles les très toxiques chlordécone et glyphosate.