Trois questions autour du projet de limitation du droit du sol à Mayotte
Trois questions autour du projet de limitation du droit du sol à Mayotte
Par Simon Auffret
La nationalité française pourrait être demandée uniquement si l’un des deux parents réside sur le territoire depuis trois mois au jour de la naissance de l’enfant.
A l’initiative du sénateur (La République en marche) de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi, le Sénat a adopté en première lecture le 26 juin deux amendements à la loi asile et immigration qui conduisent à réformer le droit du sol sur le 101e département français.
Le texte instaure en l’occurrence une nouvelle condition pour être naturalisé : que l’un au moins des deux parents d’un enfant né sur l’île réside de manière régulière sur le territoire depuis plus de trois mois au jour de la naissance. Pour Thani Mohamed Soilihi, il s’agit là d’une modification « à portée limitée ». Est-ce vraiment le cas ?
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Qu’est-ce qui a motivé le vote de cette mesure ?
Le sénateur dit vouloir parer à l’« insoutenabilité de la pression migratoire pour les Mahorais ». Il espère ainsi décourager les « milliers de femmes enceintes qui, souvent au péril de leur vie, abordent sur les rivages de Mayotte avec l’espoir de donner naissance à un enfant né sur le territoire national afin qu’il puisse y être élevé et ainsi bénéficier d’une naturalisation par “le droit du sol”. »
Devenue une région ultrapériphérique de l’Union européenne en 2014, l’île de Mayotte, située entre Madagascar et l’archipel des Comores, est le lieu d’importantes arrivées de personnes souhaitant demander l’asile en France : selon l’Insee, 41 % des 200 000 résidents de l’île sont de nationalité étrangère, dont la moitié serait en situation irrégulière.
La pression démographique y est aussi importante : le taux de natalité y est de quarante pour mille, contre douze pour mille pour la France entière. En 2016, 74 % des enfants y sont nés de mères étrangères, phénomène visé par la proposition du sénateur mahorais.
Un régime différent de la métropole s’applique à la politique migratoire de l’île, pour faire face à cette forte augmentation de la population – Mayotte ne comptait que 26 000 habitants en 1960.
Comme dans les autres territoires d’outre-mer, le recours dans le cas d’une demande d’asile rejetée n’est pas suspensif, accélérant les éloignements du territoire – environ 30 000 chaque année, selon la Ligue des droits de l’homme.
La situation est aussi particulière pour les migrants mineurs, arrivés seuls sur l’île : 4 285 enfants y ont été retenus dans des centres de rétention administrative en 2016 selon le Défenseur des droits – une disposition illégale en métropole.
Comment fonctionne le droit du sol aujourd’hui ?
Pour les enfants nés sur le territoire français de parents étrangers vivant à l’étranger, concernés par la mesure votée par les Sénateurs, la nationalité française n’est pas attribuée dès la naissance – ce n’est le cas que pour les enfants de parents français.
Elle peut être obtenue par l’enfant lui-même à sa majorité, sous réserve de résider en France au moment de la demande, de posséder un certificat de naissance et d’y avoir vécu au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans. Avant d’être majeur, la demande est possible à l’initiative des parents (si l’enfant à entre 13 ans et 16 ans) ou par l’enfant lui-même (entre 16 ans et 18 ans), avec des conditions de résidence plus importantes.
La mesure est-elle constitutionnelle ?
Le Conseil d’Etat a donné un avis favorable au projet de M. Mohamed Soilihi. Les juges se sont notamment référés à l’article 73 de la Constitution, qui laisse une marge de manœuvre aux législations des collectivités locales d’outre-mer.
Néanmoins, de précédentes tentatives de limitation du droit du sol avaient été abandonnées devant la possibilité d’un refus du Conseil constitutionnel : en 2005, François Barouin, alors ministre de l’outre-mer, avait envisagé une remise en question du droit du sol « pour certaines collectivités », avant qu’une mission d’information parlementaire ne mette de côté la proposition, qui comportait de « forts risques constitutionnels ». En 2008, une proposition similaire de Christian Estrosi, alors secrétaire d’état chargé de l’outre-mer avait provoqué les mêmes réactions.
L’un des obstacles majeurs est l’indivisibilité de la loi française en matière de nationalité : Mayotte étant un département à part entière, les conditions d’attribution doivent y être identiques à ce qu’elles sont dans le reste du pays. « Si cette mesure est votée, qu’est ce qui empêcherait les Alpes-Maritimes de demander des dispositifs similaires, ou la Corse ? », souligne Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS.
Pour le professeur à l’université Paris-I, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui avait rappelé le principe d’indivisibilité dans un avis de 1993 pour les personnes nées en Algérie – jurisprudence absente de l’avis du Conseil d’état – pourrait également motiver le refus d’une limitation du droit du sol à Mayotte. Les sages y affirmaient que toute restriction au droit du sol ne pouvait concerner qu’un territoire anciennement français, devenu indépendant.
La commission mixte paritaire parlementaire (composée de députés et de sénateurs) a commencé à travailler sur une version définitive du texte, dès le mercredi 27 juin. Le projet a reçu un soutien de poids, jeudi 28 juin, à l’occasion des conclusions des assises des outre-mer à l’Elysée : « J’ai noté que l’évolution proposée par le sénateur Soilihi faisait consensus. Je veux donc dire ici que je soutiens cette démarche », a déclaré le président de la république Emmanuel Macron.