Coupe du monde 2018 : l’Angleterre rompt la malédiction des tirs au but
Coupe du monde 2018 : l’Angleterre rompt la malédiction des tirs au but
Par Benoît Vitkine (Moscou, envoyé spécial)
Les Three Lions se sont qualifiés, mardi 2 juillet, pour les quarts de finale du Mondial aux dépens de la Colombie.
La joie des Anglais autour de leur capitaine, Harry Kane, après le tir au but victorieux d’Eric Dier. CARL RECINE/REUTERS / CARL RECINE / REUTERS
Les dieux du football savent se montrer magnanimes avec ceux qui ont assez souffert. Juste assez cruels pour imposer à l’équipe d’Angleterre d’affronter son pire démon, une séance de tirs au but en phase finale de Coupe du monde. Mais cette fois, ils lui ont permis de l’emporter et de rompre la malédiction. Qu’on en juge : depuis 1990, les Three Lions se sont fait sortir six fois à l’issue de la séance des tirs au but en compétition internationale. Trois fois en Coupe du monde (1990, 1998 et 2006), trois autres à l’Euro (1996, 2004 et 2012). Pour faire bonne mesure, rappelons la séance réussie à la maison en quarts de finale de l’Euro 1996. Ce jour-là, le gardien David Seaman avait détourné la tentative de l’Espagnol Miguel Angel Nadal, l’oncle du futur tennisman.
Ce mardi 3 juillet à Moscou, l’Angleterre a chassé ses vieux fantômes pour éliminer la Colombie dans un huitième de finale haché et tendu (1-1), qui ne pouvait que se terminer par une séance de tirs au but (remportée 4-3 par les Anglais). Du côté des vainqueurs, seul Jordan Henderson, bizarrement arrivé au point de penalty en jonglant, a raté sa tentative. Luis Muriel et Carlos Bacca sont les malheureux du soir pour les Colombiens.
« Enfin ! L’équipe anglaise remporte les tirs au but. Un titre que vous ne pensiez jamais lire », écrivait l’édition en ligne du Sun. Ce titre, les lecteurs anglais le doivent au sélectionneur : Gareth Southgate. Héros malheureux de la séance de l’Euro 1996 face aux Allemands en demi-finales, l’ancien défenseur connaît la cruauté de l’exercice et avait préparé en amont ses joueurs à cette éventualité. « Les tirs au but, c’est un moment difficile, mais on avait longuement discuté de la manière dont on pouvait maîtriser une séance comme celle-là », a expliqué l’impeccable technicien au veston en conférence de presse.
Tests psychologiques et parties de minigolf
L’histoire l’oubliera sans doute, mais l’homme qui a délivré les Anglais de leur envoûtement s’appelle Yerry Mina. En égalisant à l’ultime seconde du match – l’Angleterre avait ouvert le score par Harry Kane sur… penalty –, le défenseur colombien a forcé le destin des Three Lions. La fatale séance semblait dès lors inéluctable, à voir la réaction des hommes de Southgate : assommés durant la première période de la prolongation, ils ont ensuite tout tenté pour y échapper. Maladroitement. Comme si la machine à gamberger s’était mise en route, rendant les Anglais fébriles, eux qui avaient jusque-là dominé le match face à des Colombiens impatients, brouillons et privés de l’inspiration de James Rodriguez, forfait.
Pouvait-il en être autrement ? L’obsession en Angleterre est telle, à chaque fois qu’approchent les phases à élimination directe, que le sélectionneur Southgate n’avait pu esquiver le sujet, la veille du match. « Nous connaissons depuis longtemps l’ordre de nos tireurs », avait-il dit dans un étonnant aveu, et dévoilant surtout sa vision de ce drôle d’exercice : « Les tirs au but ne sont pas une question de chance. Il s’agit simplement de savoir être performant dans un moment particulier. »
Contrairement à plusieurs de ses prédécesseurs – tel le Suédois Sven-Göran Eriksson convoquant un préparateur mental à deux jours de l’épreuve –, Southgate a bel et bien pris le problème à bras-le-corps et compris que l’exercice ne tenait pas de la loterie. Selon la presse britannique, le sujet est une de ses priorités depuis le mois de mars. Au programme, du classique – entraînements à répétition, étude de la technique des gardiens rivaux –, mais aussi des choses plus surprenantes, comme des parties de minigolf improvisées dans les hôtels où la sélection fait étape. Le principe : les joueurs doivent putter sous les vociférations de leurs partenaires pour s’habituer à la pression. Des tests psychologiques ont également été conduits pour déterminer ceux qui avaient le plus de risques de craquer au moment fatidique.
Fin de la période de disette
Une autre piste a été fournie par le travail du Norvégien Geir Jordet. Ce psychologue du sport a étudié toutes les séances de tirs en Coupe du monde entre 1976 et 2010 et a constaté que les Anglais étaient ceux qui prenaient le moins de temps pour s’élancer : seulement 0,28 seconde après le coup de sifflet de l’arbitre. Ses travaux ne profiteront pas seulement aux vedettes de la sélection. En incluant les moins de 21 ans et les sélections féminines, le ratio n’est que de deux séances de tirs au but victorieuses sur les 14 dernières disputées par des équipes anglaises.
Paradoxalement, c’est la cuvée la moins expérimentée depuis 1962 (19 sélections en moyenne par joueur) qui a su appliquer scrupuleusement ces beaux principes. C’est aussi celle qui rompt avec une longue période de disette : l’Angleterre n’avait pas remporté le moindre match à élimination directe en Coupe du monde depuis 2006. A défaut d’être brillants, les Anglais se sont montrés plus entreprenants que leurs adversaires et se sont reposés sur Harry Kane, toujours très utile pour conserver le ballon ou obtenir des coups francs.
A trois marches du bonheur, l’attaquant de Tottenham et ses coéquipiers ne couperont pas à la comparaison avec la génération de 1966, la seule victorieuse en Coupe du monde (à Wembley, sous les yeux de la jeune Elizabeth II). Depuis 1990, l’Angleterre n’a pas dépassé les quarts d’une Coupe du monde. Cette année peut-elle être la bonne ? « Je n’ai pas encore envie de rentrer à la maison », a prévenu Gareth Southgate. Bonne nouvelle, son équipe roule dans la moitié de tableau la plus dégagée sur le papier, celle sans la France, le Brésil et la Belgique. En quarts de finale, la Suède attend l’Angleterre. Soit une équipe plutôt défensive, qui jouera crânement sa chance pour tenter d’amener son adversaire aux tirs au but. Presque une formalité, désormais.