L’Uruguay, une équipe composée de 11 gardiens de but. Ici, Diego Godin, défenseur. / Hassan Ammar / AP

B… U… T… Que signifient ces trois étranges lettres ? Ont-elles un sens, si on les prononce ensemble ? Quelqu’un s’aventurera-t-il à le faire vendredi à partir de 16 heures ? L’incertitude règne, avant ce qui pourrait bien s’imposer comme le match le plus soporifique du mondial, quitte à déloger de leur trône les deux chefs-d’œuvre du genre, l’interminable Espagne-Russie et l’inhumain France-Danemark.

« L’Uruguay, c’est un 4-4-2 compact, où ils défendent tous ensemble. Ça sera totalement différent que face à l’Argentine, ça sera un match chiant », prévenait déjà Antoine Griezmann en conférence de presse, dimanche 1er juillet. « Grizou » sait de quoi il parle. A force de côtoyer des Uruguayens, le natif de Mâcon en est venu à boire du maté et à se lever au milieu de la nuit pour regarder Penarol-Nacional, le bouillant derby de Montevideo. Et par « chiant », l’attaquant pense peut-être aussi aux quatre précédentes rencontres entre les deux sélections.

Quatre 0-0 d’affilée entre les deux pays

Le dernier match de compétition entre les Bleus et la Celeste, en phase de groupes du Mondial 2010, s’est soldé par un déprimant 0-0. Exactement le même score que lors du stérile France-Uruguay de 2002. Que les meilleures Coupes du monde françaises, notez.

Blues for both sides in opening draw
Durée : 04:23

En fait, cela fait même cinq rencontres entières, que les Bleus tirent à blanc face à l’Uruguay. Pour quatre 0-0 et une défaite 0-1, la dernière, lors d’un amical à Montevideo en 2013, et autant de rencontres restées dans les mémoires pour un nombre de fautes inversement proportionnel à celui des occasions. En novembre 2008, il y a bien eu au Stade de France le retourné de Steve Savidan, pour la seule sélection de l’ancienne idole de Valenciennes et Caen. De mémoire de téléspectateur, il s’agit de l’action la plus notable vue lors de ces trois dernières décennies dans un France-Uruguay.

En tout, les Bleus n’ont plus marqué contre leur bête noire sud-américaine depuis 486 minutes. L’événement remonte à la finale de feu la Coupe intercontinentale des nations, une rencontre de prestige ayant opposé en 1985 et 1993 le vainqueur de l’Euro au gagnant de la Copa America. Cette année-là, les Bleus de Michel Platini s’étaient imposés 2 à 0 et le second buteur s’appelait José Touré.

But José TOURE France-Uruguay 1985.avi

Depuis, plus rien. Trente-trois ans que la France attend le successeur de l’attaquant du FC Nantes, et qu’il s’appelle Griezmann, Mbappé ou Adil Rami (et pourquoi pas ?) sur un but gag, on lui souhaite bien du courage pour triompher de l’impressionnante muraille bleue claire.

Un socle madrilène rodé

Depuis le début de la compétition, l’Uruguay est avec le Brésil la meilleure défense, avec un seul but encaissé. Seul le Portugais Pepe, de la tête, a trompé la vigilance de Fernando Muslera en huitièmes de finale. Un petit événement : le gardien de la Celeste restait en 2018 sur 595 minutes d’invincibilité, excusez du peu.

Jose Gimenez et Diego Godin rappelant aux portugais qu’ils ont déjà marqué un but, et qu’il faudrait pas pousser mémé dans les orties non plus. / Andrew Medichini / AP

A l’origine de cette impressionnante étanchéité, la paire de défenseurs centraux José Gimenez et Diego Godin, partenaires en club à l’Atlético Madrid, une des équipes les plus difficiles à manœuvrer d’Europe, coachée par Diego Simeone, entraîneur natif de Buenos Aires qui n’est jamais qu’à deux heures de ferry de Montevideo.

Antoine Griezmann, qui évolue à la pointe de l’attaque du club madrilène, connaît bien ces joueurs. « Diego est un grand ami, je suis tous les jours avec lui à Madrid. C’est le parrain de ma petite fille. Ça va être un match avec beaucoup d’émotion pour moi. (…) Il connaît tout de moi comme je connais tout de lui et de Gimenez [l’autre défenseur central de l’Uruguay]. »

Mais à force d’entendre que Griezmann était le plus uruguayen des Français, Luis Suarez l’a sèchement renvoyé à son état civil, lundi. Selon l’attaquant de la Celeste, n’est pas Uruguayen qui le décrète.

« Il ne sait pas vraiment ce que c’est que de se sentir uruguayen. Il ne sait pas le don et l’effort qu’il faut faire, enfant, pour pouvoir réussir dans le football avec une population aussi faible. Nous, on le sait, ça. Il peut bien prendre les habitudes ou la manière de parler des Uruguayens, mais se sentir uruguayen, ce n’est pas pareil. »

A l’Atlético Madrid, on applique les préceptes uruguayens : couteau entre les dents, crampons aiguisés, et survive qui peut. / Daniel Ochoa de Olza / ASSOCIATED PRESS

Un ADN collectif

Interrogé en début de compétition par The Guardian, Godin revendiquait plus largement cette philosophie défensive acharnée, constitutive à ses yeux de l’identité de la Celeste :

« Vous ne pouvez pas tourner le dos à votre ADN collectif. Nous avons toujours été très bons défensivement, rapides dans nos transitions vers nos avants-centres, mais je pense que nous nous sommes améliorés sur l’entre-deux : nous sommes meilleurs dans la conservation, les jeunes joueurs nous ont apporté ça. Mais l’Uruguay n’a rien perdu de son implication, ce combat, ce sacrifice et cette solidarité, cette détermination à triompher de l’adversité. »

Guy Stephan, adjoint de Didier Deschamps, se prépare déjà à une partie très compliquée. Et il s’arracherait bien les cheveux si son crâne n’était parfaitement glabre. « Gros volume de jeu, grosse intensité, grosse solidarité, des lignes très proches les unes des autres… Il faudra être patient, trouver les intervalles, prévient-il. C’est une équipe faite pour ces matchs-là, avec un bloc compact. » Et tant pis si cela ne plaît pas toujours à l’adversaire ni aux téléspectateurs, la France a bien été championne du monde en 1998 après un 0-0 (contre l’Italie) en quarts de finale. Préparez-vous peut-être à une éventuelle séance de tir aux buts un peu avant 19 heures vendredi.