France 1998 : Gianluigi Pagliuca, le spécialiste qui n’a pas suffi
France 1998 : Gianluigi Pagliuca, le spécialiste qui n’a pas suffi
Par Anthony Hernandez
4/7. « Le Monde » vous fait revivre l’épopée victorieuse des Bleus à la Coupe du monde 1998, à travers un des acteurs des rencontres. Le 3 juillet, la France élimine l’Italie aux tirs au but en quarts de finale, malgré la présence du spécialiste : Gianluigi Pagliuca.
Gianluigi Pagliuca s’incline face à Laurent Blanc lors de la séance de tirs au but en quart du Mondial 1998. / THOMAS COEX / AFP
On peut être un gardien spécialiste des penaltys, détenir le record en Série A de ces arrêts si particuliers, 24 très exactement, et avoir perdu deux fois en Coupe du monde lors d’une séance de tirs au but. En seulement 38 sélections avec la Nazionale, Gianluca Pagliuca a eu le temps d’être finaliste du Mondial 1994, défait par le Brésil, et quart-de-finaliste du Mondial 1998, sorti par la France.
A chaque fois, le portier italien a stoppé une tentative adverse durant l’épreuve fatidique : celle du Brésilien Marcio Santos au Rose Bowl de Pasadena et celle de Bixente Lizarazu au Stade de France à Saint-Denis. Mais à chaque fois, cela n’a pas suffi à faire de lui un champion du monde ou à éliminer le pays organisateur de sa propre Coupe du monde.
« C’est très frustrant. En 2006, Buffon [Gianluigi] n’en a pas détourné un seul et l’Italie a été victorieuse [la tentative du Français David Trezeguet a heurté la barre]. Je fais souvent un rêve de la finale face au Brésil. Je suis passé à un penalty d’être champion du monde », livre celui qui a aussi été le premier gardien expulsé lors d’un Mondial en poules face à la Norvège en 1994.
Exilé de longues années à la Sampdoria de Gênes (1986 à 1994) et à l’Inter Milan (1994 à 1999), Pagliuca a également joué sept ans au sein du club de sa ville (1999 à 2006), le Bologna FC, où il a été formé. Champion d’Italie en 1991, finaliste de la Ligue des champions en 1992 et vainqueur d’une Coupe de l’UEFA en 1998, le Bolonais reste, malgré tout ses titres décrochés sous d’autres cieux, très attaché à son club formateur, sa « casa mia ». Depuis 2016, il s’occupe d’ailleurs des gardiens de la primavera (la « réserve »).
Pagliuca capte le tir au but de Lizarazu en quarts de finale du Mondial 1998. / THOMAS COEX / AFP
L’occasion de Baggio
La longue silhouette de 1,90 m s’est à peine charpentée, les tempes déjà légèrement grisonnantes sont devenues poivre et sel, mais le look a traversé les années. Les côtés coupés courts, la masse de cheveux sur le dessus est impeccablement en place et retombe à gauche, comme son plongeon du 3 juillet 1998 qui le vit effleurer sans succès le penalty de Thierry Henry, quatrième tireur tricolore. En bon père et en bon fils, il a tatoué le prénom de sa progéniture sur le bras droit et le signe de sa mère sur la poitrine. A l’épaule, son signe astrologique, Sagittaire, est représenté. Enfin, son bras droit découvre une autre passion, l’emblème du Virtus, célèbre club de basket de la ville.
De sa voix rauque semblable aux plus grands chanteurs italiens, à la Paolo Conte, à ne pas confondre avec Paolo Rossi ou Antonio Conte, le cinquantenaire a bien failli n’être qu’un spectateur de cette Coupe du monde 1998. Son destin bascule une semaine avant le début du tournoi. Lorsqu’Angelo Peruzzi, le titulaire, se blesse, il entre alors en scène et sa doublure devient Gianluigi Buffon, jeune gardien d’à peine 20 ans.
Gianluca Pagliuca n’a rien oublié des presque 700 matchs qu’il a joués dans sa longue carrière. Ce fameux quart de finale face aux Bleus ne fait bien sûr pas exception : « Ma tête est un ordinateur. Je me souviens de toutes mes parties de Serie A ou avec la sélection. » En première période, la Nazionale souffre de la pression imposée par la France. « On était très bas dans notre moitié de terrain. Au cours du match, j’ai fait trois arrêts significatifs : un sur Zidane, un sur Petit, un sur Djorkaeff. »
En deuxième mi-temps, son équipe d’Italie se montre plus dangereuse, jusqu’à cette occasion en or lors de la prolongation lorsque Roberto Baggio manque la balle de la qualification. « C’est un tournant. Ce but nous aurait envoyés en demi-finale. Le tir est passé de quelques centimètres à côté… »
Avant la rencontre, la presse transalpine avait forcément insisté sur le nombre de joueurs tricolores qui évoluaient alors au sein des meilleures équipes du calcio : notamment Didier Deschamps et Zinédine Zidane à la Juventus Turin ou encore Lilian Thuram à Parme. Le Corriere dello Sport écrivait : « Nous avons enfanté des monstres. »
Quand Djorkaeff se désiste
Coéquipier et voisin de Youri Djorkaeff à l’Inter Milan, Gianluca Pagliuca n’en fait, lui, pas une maladie. « Oui, c’était en quelque sorte comme affronter une sélection de la Serie A mais ce n’était pas forcément un avantage ni un désavantage. De toute façon, à ce niveau, tous les joueurs évoluent dans des grands championnats et sont connus. » A l’inverse du « Snake », pourtant spécialiste des penaltys, qui refusa ce jour-là de se présenter face à sa bête noire dans cet exercice à l’entraînement. « Je pensais que c’était un choix d’Aimé Jacquet. Je ne savais pas. Je vais appeler Youri », plaisante-t-il.
Loin des gesticulations de certains gardiens sur leur ligne de but, Gianluca Pagliuca avait sa méthode, toute en sobriété et basée sur l’instinct. Il abhorrait les instructions données par ses coéquipiers, allant jusqu’à prendre le contre-pied de leurs conseils : « Chacun son rôle. Moi j’étais le gardien. Je regardais le tireur dans les yeux, j’observais la position du corps et je suivais mon instinct. »
Le 3 juillet 1998, juste avant la séance, Gianluigi Buffon est venu discuter avec lui. « C’était des encouragements, pour faire retomber la pression. Buffon était alors un jeune gardien, sans expérience internationale. » En spécialiste, Pagliuca avait grande confiance en ses capacités : « J’étais quasiment sûr d’en arrêter au moins un. C’est important de savoir ça pour tes tireurs. Il ne restait plus qu’à espérer qu’ils soient efficaces. »
Après les échecs du Français Bixente Lizarazu et de l’Italien Demetrio Albertini, aucun autre joueur ne tremble. Quand Laurent Blanc, en cinquième position, inscrit le quatrième tir pour la France, Luigi Di Biaggio n’a plus le droit à l’erreur. A quelques mètres de là, à côté des cages, le gardien passe du rôle d’acteur principal à spectateur impuissant : « J’ai senti qu’il pouvait le manquer. »
Le tir puissant, trop peut-être, s’écrase sur le barre. C’en est fini des rêves de Coupe du monde de l’Italie et de Gianluigi Pagliuca, qui vient de porter sans le savoir pour la dernière fois le maillot de la sélection. Une page se tourne. Après l’intérim réussi de Francesco Toldo à l’Euro 2000, le long règne de Gianluigi Buffon peut commencer.
On refait France 98
Episode 1: Pierre Issa, le Bafana bafoué
Episode 2 : Zidane, l’expulsion qui aurait pu tout changer
Episode 3 : Bernard Lama, le sens du collectif et du sacrifice
Episode 4 : Chilavert, la terreur des Bleus