Entretien avec Florian Pellissier, 5è partie : Bijou Caillou Vaudou
Entretien avec Florian Pellissier, 5è partie : Bijou Caillou Vaudou
Propos recueillis par Yannick Le Maintec
Florian Pellissier signe le quatrième album de son quintet : « Bijou Caillou Voyou ». Après une première série d’entretiens publiés en 2016 sur le blog Mundo Latino, nous retrouvons le pianiste pour une nouvelle entrevue dont voici le deuxième volet.
Florian Pellissier Quintet : Bijou Caillou Voyou
Avril 2017. J’avais rencontré Florian Pellissier la veille du concert qu’il devait donner au Duc des Lombards. Tout au long de la conversation, j’avais cherché à savoir comment l’écriture de « Bijou Caillou Voyou » s’était inscrite dans le parcours du pianiste. Il me manquait un élément, essentiel, qui allait me permettre de saisir l’essence de l’album. « J’ai du mal à comprendre... Comment le vaudou a-t-il influencé Bijou Caillou Voyou ? »
Nous nous étions fixés un nouveau rendez-vous dans un restaurant africain de Bastille. L’ambiance était parfaite. « Comme je te le disais l’autre jour, ce qui est fondateur dans l’album, c’est les tambours. L’apport du vaudou, ce sont les percussions, la transe, la musique qui passe par le corps. » A ce moment, Florian marque une pause. « Tu sais, ça fait longtemps que j’ai des accointances avec la Santeria... A Cuba, j’ai passé les premiers pas de la religion Yoruba. »
Vous n’êtes pas au courant qu’il n’y a pas de relation économique entre les Etats-Unis et Cuba ?
« Tu as été initié à la religion ? » « Bien sûr. J’ai fais la Mano De Orula. On m’a donné Eleggua. » Mais tu y es allé seulement deux fois ! » « La première fois, j’y suis resté plus d’un mois. Ça a été chargé. » On était en 2001. Florian venait d’achever ses études de musique à la New School de New York. Il devait enregistrer en septembre les premières compositions du quintet (à lire dans l’épisode 2). Il en avait profité pour visiter Cuba avec sa copine et un ami. » Lui avait prévu de rester plus longtemps. « Au bout de deux semaines, je les raccompagne à l’aéroport. Le lendemain, je vais dans le quartier touristique pour retirer de l’argent. Premier distributeur, ça marche pas, deuxième, ça marche pas. Je me dis : C’est pas grave, c’est Cuba ! Je vais au guichet. La nana me demande de lui montrer la carte de crédit : City Bank, une banque américaine. Elle me regarde éberluée. Vous n’êtes pas au courant qu’il n’y a plus de relation économique entre les Etats-Unis et Cuba depuis 1962 ? » Éclats de rire.
« J’avais dépensé tout mon liquide pendant deux semaines. Je ne m’étais pas posé de question ! Il me restait trois semaines, pas d’argent. Je me suis retrouvé sans le sou, et ai habité trois semaines chez Joséito, un maître des batás, un maître de cérémonie. C’est un musicien fabuleux ! » José Fernandez Hernández a fait partie du groupe Wemilere aux côtés de Román Díaz et de Pedrito Martinez. Il en a pris la direction musicale quand Román et Pedrito ont quitté Cuba. « José m’a dit : Viens dormir à la maison. Je rattrape un pote à l’aéroport qui me file les cinquante dollars qu’il a en poche. J’arrive chez José, je pose l’argent sur la table. On a vécu comme des rois pendant trois semaines. J’ai traîné dans la cité dans avec les Babalaos [prètres]. J’ai suivi toutes les cérémonies. Ça m’a tout appris. »
>> A lire dans les archives du blog : Pedrito Martinez : « Je ne suis qu’un hériter »
Un dimanche après-midi comme les autres
« C’est fou. Ça n’arrive à personne, ces choses-là » « Ça peut ne peut pas arriver ! Tu ne peux pas être là. Guanabacoa, c’est la cité. Il n’y a pas de touriste, pas de blanc. Quand j’y suis retourné en taxi huit ans après, il ne voulait pas me laisser sortir ! Le jour où j’ai débarqué chez José et Juana, tout le quartier se demandait ce qu’il se passait. Comme ils sont très connus, j’ai tout de suite été accepté. » « Tu parlais d’une cérémonie, ça s’est passé quand tu y es retourné ? » « Non, dès la première fois. La deuxième, c’était ma confirmation. Je connais les batás depuis que je suis petit. [« petit » chez Florian, ça veut dire quand il a débuté] Les batás, ce sont les tambours. Ce sont à la fois des dieux et le moyen de communiquer avec les esprits. Quand tu fais l’Oro Seco, tu t’adresses à tous les dieux. Ça passe par les chants. C’est toute l’Afrique ! »
« J’étais allé voir le Babalao pour me purifier. On est allé acheter un poulet. On a fait un poulet. Le gars psalmodie en yoruba pendant 20 minutes, me crache dessus. Et quick le poulet ! Je n’avais besoin que d’un demi-poulet pour mes problématiques, le reste a servi à purifier la maison. Il badigeonne les murs de chaque pièce, il y avait des plumes partout. Pendant ce temps-là, les gamines qui avaient une dizaine d’années, au fond de leur fauteuil regardent Starsky & Hutch ! Tu saisies toute la relativité de la situation ? C’est fondamental : Tu es au fond de la cité de Guanabacoa, le mec fait sa cérémonie africaine. Il y a du sang, ça chante, ça crie... et les gamines matent Starsky & Hutch. Un dimanche après-midi comme les autres. »
14 juillet vaudou
« Donc, tu retournes huit ans après pour ta confirmation. Et à nouveau huit ans après, tu te retrouves en Afrique de l’Ouest... » « En Afrique de l’Ouest. » « Il n’y avait pas Julien derrière cette histoire ? » Julien Lebrun, le patron du label Hot Casa qui a sorti les premiers albums de Setenta, est connu pour avoir produit Vaudou Game. « Julien devait partir en Afrique. Il venait de sortir la compil Togo Soul 70. Il avait interviewé les musiciens pour un teaser. Ils avaient suffisamment de matière pour en faire un documentaire. Il lui manquait un ou deux artistes essentiels et quelques jolis plans. Je lui ai demandé si ça ne le dérangeait pas que je l’accompagne. »
Direction le Togo et le Benin. « A Ouidah, une fois par an c’est la fête du vaudou, où se rejoignent toutes les tribus : le défilé du 14 juillet version vaudou ! Dans toute la ville c’est la folie du vaudou pendant 48H. Ça se passe au niveau de la Porte du Non-retour. A 500m sur la plage, il y a une autre porte, beaucoup plus petite : la Porte du Retour. C’est par là que sont passés les retournés, les descendants d’esclaves brésiliens qui sont revenus de Bahia, qui se trouve juste en face. »
La vipère enroulée dans un coin qui ne manquera jamais de rien
« Le dernier jour avant de rentrer au Togo, c’était la cérémonie d’Ibeyi. J’accompagnais un pote au temple. Il y avait là un noir américain en recherche d’africanité et une étudiante en danse africaine. Ils posaient les questions au prêtre et écoutaient ses réponses à travers leur caméra. C’était tellement ridicule... Du coup j’ai fait le con tout du long ! Le prêtre était mort de rire. »
« Après la cérémonie, le prêtre me demande ce que j’attendais du Vaudou. Je lui réponds : Dis au Vaudou que je souhaite que le Vaudou soit content. Le Vaudou dit : Tu es comme la vipère enroulée dans un coin. Tu ne manqueras jamais de rien. Un car de Hollandais arrivait. Le prêtre nous dit : Si vous voulez donner quelque chose pour la cérémonie, c’est le moment. Je me lève, je fais un grand sourire au prêtre et mets une grosse somme : 20.000 francs CFA. Tous les hollandais ont suivi ! Le prêtre a conclu en disant : Le Vaudou remercie une personne très généreuse. »
Ils se parlent. Ils continent de se parler !
« Quand j’étais là-bas à Ouidah, j’ai vécu une expérience semi-mystique. J’étais sur la plage, la lune était très belle, la mer violente. J’écoutais le bruit des vagues. J’ai commencé à entendre les tambours. Le Brésil, c’est tout droit, juste en face. Je me suis dit : Ils se parlent. Ils continuent à se parler ! Je me suis dit que jouer les tambours ne signifiait non seulement perpétuer des chants et des traditions, mais aussi continuer à communiquer par delà les océans. Quand tu es un esclave enchaîné à fond de cale, c’est impossible de connaître la taille du fleuve que tu traverses. Ça peut être une rivière comme ça peut faire 5000 km ! Tu n’as pas cette notion de distance. Ils continuaient à jouer pour ceux d’en face. »
De Cuba à Ouidah. Le destin, par sa malice, a amené Florian dans une ville d’Afrique directement connectée au Brésil. Chez Florian le Brésil est omniprésent. Son grand projet du moment est la collaboration de Cotonette, son groupe de funk brésilien, avec une legende oubliée du genre. "Il faut vraiment que tu me racontes comment tu as rencontré Di Melo. Et c’est quoi cette histoire de quintet brésilien ? »
A suivre...
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