Le Falcon Heavy, conçu par SpaceX, est la fusée la plus puissante. Ici lors du lancement d’une voiture Tesla, en février, en Floride. / JIM WATSON / AFP

Dans le monde du spatial, il y a un avant et un après SpaceX. La dernière démonstration de force d’Elon Musk, le patron de l’entreprise, date de février dernier avec la mise en orbite d’une voiture Tesla. Elle a été propulsée par le Falcon Heavy, la fusée en activité la plus puissante au monde. « En dix ans, SpaceX a fait basculer le secteur de l’espace de la science vers l’innovation, analyse Nicolas Bouzou, économiste et directeur du cabinet de conseil Asterès. Le spatial est en train de devenir un secteur comme un autre, avec du capital investissement et des business models qui se dessinent. » Un changement de culture radical, qui pousse les grandes agences et les acteurs privés historiques à sortir de l’entre-soi et à repenser leur fonctionnement.

Aux origines du New Space

« La NASA a été traumatisée par l’échec des navettes spatiales (Challenger en 1986 et Columbia en 2003 qui ont provoqué la mort de 14 astronautes), poursuit l’économiste. Un gouffre financier qui s’est soldé par un échec cuisant. Au début des années 2000, l’agence spatiale américaine a changé de modèle : au lieu de piloter toutes les missions et de faire appel à des sous-traitants pour chaque pièce, elle fonctionne par appels d’offres, met en concurrence les start-up et entreprises privées historiques et passe commande à des prix élevés pour soutenir leur développement. » Un modèle qui a boosté l’innovation et fait chuter les coûts dans le secteur, mais qui fait grincer des dents en Europe. « Elon Musk se fait passer pour un entrepreneur mais il est massivement financé par des fonds publics », souligne l’ancienne ministre Geneviève Fioraso, auteure du rapport « Open Space », rendu en juillet 2016 au gouvernement Manuel Valls. C’est ainsi que SpaceX, créé en 2002, a été sauvé de la faillite en 2008 par une commande de douze lancements vers la Station spatiale internationale pour un montant de 1,6 milliard de dollars… Aujourd’hui encore, la NASA reste le client principal de SpaceX, qui facture 100 millions de dollars chaque lancement à l’agence américaine, contre 50 à 60 millions pour les tirs commerciaux exposés à la concurrence.

Une accélération ces trois dernières années

Dans le sillon de SpaceX, des centaines de start-up se lancent dans l’aventure, principalement américaines. « L’accès à l’espace devient de moins en moins cher, la demande de connectivité ne cesse d’augmenter et on découvre chaque jour de nouvelles applications de la donnée spatiale, poursuit Nicolas Bouzou. Tout est réuni pour que le marché du spatial explose. Nous ne sommes qu’au début de ce cycle d’innovation. »

Dans les faits, la baisse des coûts est vertigineuse. Le secteur estime que le coût d’accès au spatial a été divisé par dix en dix ans. Comment ? En innovant sur les modes de propulsion, en développant un lanceur réutilisable (le Falcon 9 de SpaceX) et en miniaturisant les satellites.

Les nanosatellites, ce sont ces petits satellites qui pèsent quelques kilos et font la taille d’une boîte à chaussures, là où un satellite de télécommunication classique pèse plusieurs tonnes. « Les nouveaux acteurs comme la start-up Planet constituent des constellations de centaines de nanosatellites en orbite basse, détaille Ane Aanesland, CEO de la start-up française ThrustMe. C’est l’avenir du big data, de l’Internet et de l’intelligence globale. Cela leur permet de distribuer le risque. Si un satellite tombe en panne, il y a peu d’impact sur la fourniture de service. »

Des constellations de nanosatellites

Les constellations permettent ainsi d’obtenir une image complète de la Terre plusieurs fois par jour, parfois plusieurs fois par heure, alors qu’il faut en moyenne cinq jours pour un satellite conventionnel. L’imagerie instantanée permet d’envisager de très nombreuses applications dans l’agriculture de précision, l’optimisation des précisions météorologiques, la gestion du trafic routier ou aérien, la surveillance des infrastructures, etc. Dans le domaine des nanosatellites, la recherche est très active notamment pour allonger la durée de vie de ces satellites « low cost ». « Au début du New Space ils restaient sept mois en orbite, aujourd’hui les derniers modèles tiennent cinq à sept ans », affirme la chercheuse.

Issue d’un spin-off de l’Ecole polytechnique et du CNRS, la start-up ThrustMe travaille sur un système de propulsion miniaturisé pour les nanosatellites. Une première version est déjà commercialisée. « Nous travaillons sur notre prochaine innovation : utiliser du carburant solide, de l’iode, qui a la particularité de passer directement de l’état solide à l’état gazeux, détaille Ane Aanesland. Or pour propulser nous avons besoin de gaz. Notre carburant sera plus dense, ce qui permet de réduire la charge et donc le coût de propulsion. »

Les nanosatellites vont aussi permettre de connecter le monde à l’Internet à bas coût et les 3 milliards d’individus qui n’y ont pas encore accès. L’entreprise britannique OneWeb prévoit ainsi de mettre en orbite 900 nanosatellites, dont les 10 premiers modèles doivent être envoyés dans l’espace d’ici la fin de l’année 2018. La conception et la fabrication ont été confiées à Airbus à Toulouse et aux Etats-Unis, et tous seront lancés par Arianespace. Une révolution pour Airbus, qui expérimente pour la première fois la production en série de satellites. OneWeb n’est pas la seule entreprise à s’engager sur ce marché très prometteur. SpaceX ambitionne de doter la Terre de 4 000 microsatellites reliés par laser.

La fronde des industriels

Mais l’Europe est-elle armée pour prendre ce virage ? Tom Enders, le patron d’Airbus, a récemment adressé un courrier à Emmanuel Macron et Angela Merkel, les appelant « vivement » à lancer une initiative franco-allemande pour « définir en coopération avec l’industrie une nouvelle vision spatiale, de nouveaux projets ambitieux et de nouvelles politiques pour l’Europe ». En ligne de mire : le fonctionnement de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui ne pratique pas la préférence européenne pour les lanceurs. Aux Etats-Unis, le Buy American Act prévoit que tout satellite public doit être lancé par une fusée fabriquée à plus de 51 % aux Etats-Unis, excluant de fait Ariane 5 et les russes Soyouz et Proton. La Chine et la Russie ont adopté la même logique et mettent sur orbite les satellites institutionnels avec les fusées nationales. En Europe, les agences nationales passent par Space X ou Soyouz. L’industrie spatiale européenne réclame donc une véritable préférence européenne avec un nombre de lancements garantis pour Ariane 6, le nouveau lanceur européen prévu pour juillet 2020.

Les grands acteurs du secteur semblent pourtant avoir pris la mesure du tsunami SpaceX. L’ESA a mis en place des incubateurs spéciaux et donne des contrats de façon régulière à des acteurs du New Space. En France, le CNES est en train de créer son propre fonds d’investissement pour soutenir les start-up émergentes. Chez les acteurs privés, Airbus a créé en 2016 un fonds de capital-risque, Airbus Ventures. Sur les vingt-deux investissements réalisés depuis, quatre concernent le New Space, dont la start-up américaine Spin Launch, qui s’appuie sur un système de catapulte électrique pour propulser de petites charges. Mais les élus restent peu nombreux. « Nous avons réussi à lever 4,6 millions d’euros (capital-risque et subventions), depuis notre création en février 2017, reprend Ane Aanesland. Nous n’avons pas encore eu de financement du CNES ou de l’ESA, mais nous avons besoin d’eux notamment pour l’étape de démonstration en orbite. Aux Etats-Unis, la NASA soutient les start-up dans cette étape en étant leur premier client. Je crois que c’est aujourd’hui l’un des plus gros freins en Europe. »

L’industrie spatiale sera l’une des grandes thématiques abordées lors du Festival de l’innovation Novaq.

Les 13 et 14 septembre, la région Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec Le Monde, organise deux jours de débats, conférences, pitchs et ateliers au H14, à Bordeaux.

Scientifiques, experts, entrepreneurs échangeront autour de trois grands thèmes : le cerveau, l’espace et l’océan. Fil rouge de cette édition : l’innovation au service de l’humain.

Programme et inscriptions ici