Hugo Lloris lors de la demi-finale contre la Belgique, au stade de Saint-Pétersbourg, le 10 juillet. / ADRIAN DENNIS / AFP

Si une caméra indiscrète de Canal+ n’avait pas saisi la scène, les habitués des conférences de presse du capitaine de l’équipe de France (et son tube « le groupe vit bien » susurré du bout des lèvres) hurleraient à la « fake news ». Le 3 avril 2011, Hugo Lloris monte dans les tours, pète un plomb même, oubliant au passage sa politesse de bon élève (titulaire d’un bac S). « On se chie dessus ! Y en a ras le cul ! Ras le cul ! », s’emporte le gardien de l’Olympique lyonnais au retour du vestiaire après un match nul concédé dans les dernières minutes à Nice. Cinq ans plus tard, les mots sont toujours aussi peu choisis (« on se chie dessus, on se cache dessus, putain ! ») mais réveillent des Bleus amorphes et menés 1-0 par l’Irlande à la mi-temps d’un huitième de finale de l’Euro mal embarqué.

Le moment – filmé par une caméra de TF1 – tord alors le cou à une idée assez répandue. En équipe de France, Lloris ne serait qu’un capitaine de papier et de protocole ; le charismatique Patrice Evra (« Tonton Pat’ » pour ses jeunes coéquipiers) ne pouvant plus prétendre à la fonction à cause de son passé de leader des mutins de Knysna. Ce 20 juin 2010 en Afrique du Sud, Lloris vit alors la première de ses trois Coupes du monde et pressent que ses coéquipiers risquent « de passer pour des cons » – comme le rapportera plus tard le sélectionneur Raymond Domenech. Mais comme les autres, il ne descend pas du bus et garde sa vérité pour lui.

Quand Laurent Blanc le choisit comme capitaine de l’équipe de France en février 2012 après deux ans d’alternance entre plusieurs candidats, sa désignation a tout du choix par défaut. Blanc ne dit pas le contraire d’ailleurs, mais Didier Deschamps le confirmera dans ses fonctions à son arrivée. Le Niçois est, depuis, la voix officielle des Bleus. Celui qui se tient aux côtés du sélectionneur avant les veilles de match face aux journalistes, avec toujours le même petit sourire gêné.

Milieu social favorisé

S’il ne dit rien et déforeste les environs de Clairefontaine à force de débiter de la langue de bois, c’est parce que la fonction l’imposerait. Hugo Lloris a souvent justifié son goût pour les formules creuses et les éléments de langage au nom de la protection du groupe. Au risque de se caricaturer un peu plus en personnage falot. A 31 ans, 103 sélections et avant de disputer une finale mondiale contre la Croatie (dimanche à 17 heures à Moscou), l’homme reste un point d’interrogation, un livre fermé. Et il intéresse peu, dans le fond. Aucun documentaire, aucune biographie n’aident à lever le voile sur ce père de deux enfants, marié à Marine, rencontrée au lycée.

Pourquoi se livrer davantage ? Le capitaine des Bleus regrette une époque – qu’il n’a pas connue – où un footballeur n’était encore qu’un footballeur. « Dans mon enfance, quand je regardais des matchs de foot, je n’avais pas envie de savoir ce que faisait le joueur dans sa vie, où il sortait, avec qui il était marié, pour l’admirer », expliquait-il au Figaro en mars. Le joueur ne copine pas avec les journalistes, prend l’exercice de l’interview avec politesse mais toujours retenue. Pour comprendre le personnage, il faut composer avec les quelques miettes d’intimité lâchées ici ou là.

Hugo Lloris en conférence de presse, le 29 juin à Kazan. / JOHN SIBLEY / REUTERS

« Je n’étais obligé à rien dans le foot », dit-il par exemple 2010 à Libération. Comprenez, avec un père banquier à Monaco et une mère avocate (décédée en 2008 des suites d’un cancer), le football n’a jamais été considéré comme un ascenseur social chez les Lloris. Le fils hésite d’ailleurs un temps avec le tennis et rêve d’imiter Peter Sampras, son « idole », grand champion au charisme relatif. Mais à l’OGC Nice, les entraîneurs détectent chez l’adolescent des qualités exceptionnelles de gardien. Le club propose qu’il intègre un établissement scolaire avec des horaires aménagés. Refus des parents, qui préfèrent que leur enfant continue à suivre une scolarité normale et publique au lycée Thierry-Maulnier. De la perte de sa mère, le joueur alors âgé de 21 ans avoue que le football l’a aidé à surmonter l’épreuve. D’ailleurs, il gardait les cages niçoises trois jours après la terrible nouvelle. Il n’en a jamais trop dit plus sur le sujet depuis.

Remis en question avant le Mondial

A l’époque, il mène encore sa carrière avec Stéphane Courbis comme agent. Mais, très vite, le gardien décide de prendre ses affaires en main avec son père, Luc, pour le conseiller. Lloris sait où il va et se faire respecter. Dans l’intimité d’un vestiaire, le gardien de Tottenham n’est peut-être pas du genre à monter sur les tables, mais est souvent décrit comme loin d’être timide et mutique par ses coéquipiers ou entraîneurs. « Il ne cherche pas à être mis en avant. C’est un capitaine respecté de tout le monde. On cherche souvent des patrons mais c’est lui le patron », assurait Raphaël Varane avant que son capitaine ne fête contre le Pérou sa 100sélection.

Et cette légitimité, Lloris la tire d’abord de ses performances. Comme lors de l’Euro 2016, il a monté son niveau avec les matchs à élimination directe. Qu’elle paraît loin, cette époque – qui remonte pourtant à fin mai – quand un but évitable face à l’Italie en préparation a ravivé le fantôme de Solna (le 9 juin 2017) et ce lob du milieu de terrain du Suédois Ola Toivonen à la suite d’une relance ratée. « C’est quoi une boulette ? », demande le portier dans un entretien à L’Equipe avant de s’envoler pour la Russie. Lloris ne prétendra jamais comme un Paul Pogba que le rôle d’un joueur de l’équipe de France est désormais « de faire fermer des bouches », mais pour une fois il avait envie de mettre les choses à plat, de se défendre lui et pas seulement le groupe. « Une boulette, ça englobe volontairement des choses différentes. C’est le foot actuel. En fait, je n’ai même pas envie… [Il soupire.] Je m’en fous, voilà. »

L’homme affleurait un peu sous la fonction. Mais au bout d’un tournoi où il réalise au minimum une parade décisive par rencontre, Hugo Lloris reste ce capitaine légitimiste pour qui le groupe vit décidément bien et qui prend toujours les matchs les uns après les autres. Et quand la question se pose sur sa prestation personnelle – encore majuscule – face à la Belgique en demi-finale, il dégage en touche poliment. « C’est toujours difficile de parler de soi », sourit-il, gêné forcément. Même pas sûr qu’un statut de capitaine champion du monde l’incite à rompre avec son devoir de réserve.