Alain Boghossian et Raymond Domenech, ici en 2010, deux ans après le fiasco fondateur de l’Euro en Autriche et Suisse. / FRANCK FIFE / AFP

Et un, et deux, et trois, et quatre à un ! Les commentateurs se grisent, les spectateurs exultent, les rues sont en liesse : en ce 14 juin, le onze néerlandais vient de faire exploser en petits confettis l’équipe de France. Quatre jours plus tard, les vice-champions du monde 2006 se font à nouveau rouler dessus, cette fois par l’Italie (0-2), et quittent la Suisse (qui organise avec l’Autriche cet Euro 2008), éliminés d’entrée d’un Euro pour la première fois depuis seize ans.

Qui se souvient que l’équipementier des Bleus avait spécialement imaginé pour l’occasion un maillot hommage aux dix ans de la première Coupe du monde française ? Dix ans après 2008 et vingt après 1998, le parcours des Bleus, qui affronteront la Croatie en finale de la Coupe du monde en Russie (dimanche, 15 heures), ne cesse d’être comparé au parcours historique de la bande à Zizou, Djorkaeff, Lizarazu et compagnie. Le souvenir du tournoi de Gallas, Anelka, Nasri et consorts est en revanche bien caché sous le tapis.

Tâtonnements tactiques et maintien

Le parcours bleu est un raté du début à la fin. Lors du premier match, malgré un quatuor Malouda-Anelka-Benzema-Ribéry prometteur sur le papier, des Bleus sans imagination se cassent les dents contre la défense roumaine (0-0) dans ce qui reste un sommet de l’ennui. Les joueurs évoquent la chaleur étouffante. Parce que oui, il peut faire chaud un 10 juin, même à Zurich.

Quatre jours plus tard, c’est la débâcle. Avec une formation remaniée (Ribéry en meneur, Govou à droite, Henry en pointe à la place de Anelka et Benzema), les Bleus boivent la tasse contre les Pays-Bas (4-1). Grégory Coupet, auteur d’une faute de main, et Lilian Thuram, régulièrement pris de vitesse, sont montrés du doigt.

Dans la rencontre de la dernière chance contre l’Italie, Domenech tente à nouveau son va-tout, remplace Thuram par un Abidal qui se montre à son tour en déperdition : il est exclu dès la 25e minute pour avoir bousculé un avant-centre italien dans la surface. La France s’incline 2 buts à 0 et quitte la compétition la tête basse.

Une demande en mariage et un maintien

La question du maintien de Raymond Domenech est alors posée. Les observateurs s’attendent à ce qu’il présente sa démission, sans se douter que c’est le moment que l’imprévisible sélectionneur attend pour réaliser la plus belle feinte de tout le parcours des Bleus :

« Je n’ai qu’un projet, c’est d’épouser Estelle [Denis, présentatrice sportive], donc c’est aujourd’hui que je lui demande. Je sais que c’est difficile, mais c’est dans ces moments qu’on a besoin de monde, et moi j’ai besoin d’elle. »

La journaliste, qui présente alors l’émission qui suit l’élimination des Bleus, reste de marbre à l’antenne (elle refusera). « J’ai eu un moment d’humaine faiblesse », sourit-il le lendemain. Mais le tour de passe-passe de Raymond Domenech ne suffit pas à le dispenser d’un droit d’inventaire. Didier Deschamps, qui est en embuscade pour le remplacer, dresse sur RTL un bilan amer de la compétition :

« C’est triste, c’est du gâchis. Le football français, pour qu’il ait de la crédibilité, c’est dans la vitrine qu’on regarde. Et la vitrine c’est l’équipe de France. A travers de tels résultats, une telle contre-performance, évidemment que ça donne pas une bonne image. »

Domenech est finalement maintenu « sous conditions », et notamment celle de parfaire une « communication désastreuse », par la Fédération française de football, alors dirigée par Jean-Pierre Escalette. Nostalgique de l’épopée bleue de 2006, Franck Ribéry prend notamment position en sa faveur.

Le début des ennuis

Un climat délétère s’est toutefois installé. Même les anciens soutiens de Raymond Domenech comme Aimé Jacquet avouent un an plus tard leur incompréhension face à la gestion du sélectionneur bleu. « Il faudrait que Raymond fournisse des explications sur ce qui s’est passé et sur ce qui se passe depuis l’Euro 2008 (…). On se doit aussi de parler foot. Il le fait si bien. Il va le faire, j’espère. »

En interne, apprend-on des mois plus tard, le groupe vit mal, et le télescopage entre anciens champions du monde ou d’Europe et jeunes loups ambitieux crée des étincelles. A l’image de deux altercations qui opposent Samir Nasri et William Gallas, lors d’un entraînement puis dans un bus, après que le jeune meneur de jeu de 20 ans a préempté la place de bus d’habitude réservée à Thierry Henry.

« Comment tu me parles ? Je ne suis pas ton ami », envoie le vétéran, qui raconte l’épisode dans son autobiographie (La parole est à la défense, 2008). « Moi non plus, je ne suis pas ton ami », rétorque Nasri. « Les jeunes de cet Euro semblent culottés, très sûrs d’eux. Ils pensent tout connaître, mais ils ne savent rien », peste le défenseur. La scène contraste avec le sens du collectif et la bonne humeur collégiale affichée par les Bleus en Russie, qui leur a valu un détournement aux sons du générique de la sitcom Friends.

Si le flop de la Coupe du monde 2002 était un accident industriel, l’Euro 2008 sera lui un fiasco fondateur. Certains joueurs préviennent dès l’été que l’échec sportif risque de se transformer en échec humain, comme le gardien Grégory Coupet. « Domenech joue avec les gens mais à force de jouer on finit par se casser la gueule », prophétise-t-il dans France Football, deux ans avant l’épisode de Knysna.

« Tout cela est triste à mourir car il y a une qualité énorme dans ce groupe et elle est en train d’être gâchée. C’est fou que des gars avec autant de talent soient aussi mal à l’aise chez les Bleus. »

Deux ans plus tard, L’Equipe rapportera que Nicolas Anelka a insulté le sélectionneur lors de Mexique-France (0-2), prémisses du fiasco de 2010. Le gardien Steve Mandanda, unique rescapé avec Hugo Lloris de cette époque dans les 23 de Deschamps en Russie, évoquera en 2011 une période de « confusion », où lui-même ne savait où se situer.

Deschamps et l’anti-Euro 2008

Premier tournoi de l’ère post-Zidane, l’Euro 2008 a montré le délicat défi d’une France privée de son leader technique, confrontée à un renouvellement de générations qui implique des querelles d’ego, et le casse-tête tactique d’une équipe qui remportait ses matchs sur la défense, et voit affluer une nouvelle génération de techniciens surdoués.

Didier Deschamps a bâti son succès sur un grand ménage, avec la mise à l’écart systématique de tout élément menaçant de mettre en péril l’ambiance au sein du groupe ou d’écorner l’image de l’équipe de France. A cet égard, la Coupe du monde 2018 est l’anti-Euro 2008. Cela ne fait toutefois pas du tournoi de Raymond Domenech le plus mauvais de l’histoire des Bleus. Il y a trente ans, pour l’Euro 1988, les Bleus n’étaient même pas qualifiés.