Que reste-t-il de la Coupe du monde 1998 pour les jeunes qui ne l’ont pas vécue ?
Que reste-t-il de la Coupe du monde 1998 pour les jeunes qui ne l’ont pas vécue ?
Par Cécile Bouanchaud
Avant cette finale des Bleus, les souvenirs des parents ayant vibré pendant l’été 1998 viennent s’ajouter à l’enthousiasme de la jeune génération, qui ne l’a pas vécu, mais en connaît tout.
Une photo prise le 12 juillet 1998, lorsque la France a remporté la Coupe du monde contre le Brésil. / DANIEL GARCIA / AFP
De la Coupe du monde 1998, Maxime évoque cette phase de poules où la France avait remporté tous ses matchs. Antoine décrit, avec force détails, la demi-finale contre la Croatie, marquée par une faute de Thuram, vite oubliée par son désormais mythique doublé — « les deux seuls buts qu’il a marqués pendant la Coupe de monde ». Colombine revient forcément, elle, sur la finale contre le Brésil, quand Zidane a marqué deux buts de la tête, avant que Petit scelle le match sur un 3-0.
Comme Kylian Mbappé, aucun d’entre eux n’était né au moment de la Coupe du monde de 1998. Maxime, Antoine et Colombine ont vu le jour près de dix ans plus tard, entre 2004 et 2010. Leur connaissance de cette période victorieuse pour la France est tirée de récits familiaux, maintes fois convoqués, et ravivés à mesure que les Bleus s’illustraient dans ce Mondial 2018.
Cette année, derrière les buts de l’équipe de France plane dans les foyers le souvenir de ceux qui ont tout remporté vingt ans plus tôt, donnant lieu à un jeu de comparaisons, et surtout à un espoir contenu, de ceux qui, par superstition ou peur d’être déçus, préfèrent en dire le moins possible. Tous ont aussi entendu parler de cette finale, perdue cette fois, en 2006, contre l’Italie.
Sur le terrain de foot du stade Suzanne-Lenglen, dans le 15e arrondissement de Paris, où une soixantaine d’enfants et adolescents participent à un stage de foot, les maillots de Mbappé, largement majoritaires, se mélangent à ceux personnalisés aux noms des jeunes footballeurs : Adam, Joseph, Antoine, Noé, Liam…
« Rêver à nouveau »
« Ici, tous les enfants, même les plus jeunes, savent que l’on a remporté la Coupe du monde en 1998 », explique Daishain Ravinesan, qui organise ces stages de trois semaines avec des enfants qu’il côtoie pour la majorité à l’année. Le directeur technique du club de l’Entente sportive Petits Anges (ESPA) précise que les parents « presque tous des connaisseurs », y sont évidemment pour quelque chose.
« Beaucoup de parents ont fait du foot jeunes, avant d’arrêter une fois adulte, comme tout le monde », constate M. Ravinesan, pour qui « la Coupe du monde leur permet de rêver à nouveau, notamment à travers l’activité de leurs enfants ». En plus d’avoir « poussé leurs enfants à s’inscrire au club, ils sont imprégnés de la victoire de 1998, dont ils ont transmis la ferveur ».
Le père de Colombine a, par exemple, affiché dans la chambre de sa fille la photo des Bleus 1998 en train de soulever leur trophée. Comme une madeleine de Proust qu’il voudrait partager, Laurent a acheté à son fils Elias un album Panini, le même qui lui avait fait connaître tous les joueurs, vingt ans plus tôt.
« Comme en 1998 »
Que savent vraiment les plus jeunes de ces mois de juin et juillet historiques ? Il y a d’abord les noms des joueurs vedettes qui reviennent. « Zidane, Deschamps, Petit, Barthez, Henry, Thuram », liste sans hésiter Mattia Sassi, 14 ans, qui a pu rencontrer l’ancien entraîneur au Real Madrid, lors d’un stage dans le club madrilène. Des icônes que les jeunes comparent aux leurs. « Mbappé, c’est notre Zidane, Lloris est bon comme Barthez, Hernandez a créé la surprise comme Lizarazu », énumère à toute vitesse Maxime, comme s’il récitait une leçon apprise par cœur.
A l’instar de certains camarades, il a regardé les matchs de 1998 sur YouTube, donnant lieu à un nouveau jeu de comparaisons. « Comme en 1998, on va jouer contre la Croatie », rapporte Maxime, 9 ans et un savoir encyclopédique sur cette Coupe du monde qu’il n’a vécue que par le prisme de documentaires, comme le mythique Les Yeux dans les bleus, filmé dans l’intimité des Bleus pendant le Mondial et sorti un mois après la victoire. L’occasion de constater, aussi, un peu cruellement, que « Zidane avait des cheveux avant », et que « les maillots étaient tout moches ».
Le garçon a comparé la foule rassemblée sur les Champs-Elysées lors de la demi-finale, mardi 10 juillet, avec celle réunie au même endroit vingt ans plus tôt, tentant ainsi de mesurer un engouement qui pourrait présager d’une victoire dimanche.
« Effervescence jouissive », « ferveur incommensurable »
Quand il regarde dans le rétroviseur, Laurent se souvient de ce symbole né lors du Mondial 1998 autour de la France « black-blanc-beur », qui est aujourd’hui devenu « une réalité » que son fils de 7 ans « ne questionne pas ». Sur ce point, Marie, mère de deux jeunes enfants, se montre plus « prudente ». Si elle partage avec ses fils de 7 et 9 ans « cet espoir de victoire », elle a aussi voulu les prévenir, « pour éviter les déceptions » :
« La fraternité est éphémère et la réalité prend vite le dessus. »
Un discours à rebours de la majorité des parents interrogés, qui préfèrent raviver « l’effervescence jouissive », « la ferveur incommensurable », « l’unité exceptionnelle », ou encore « l’émotion indescriptible », sans penser au reste. De nombreux enfants savent d’ailleurs ce que faisaient leurs parents cet été-là : « Papa a fait la fête sur un parking à Nantes », « Maman s’est fait arrêter car elle avait trop bu », « Mes parents étaient avec des amis au Pays basque ».
C’est dans cette même maison du Sud-Ouest que, vingt ans plus tard, Colombine regardera la finale dimanche, « avec les mêmes amis ». Antoine, lui, retournera dans le bar où son père « a beaucoup crié » lors de la demi-finale, tout près du siège de la Fédération française de football, dans le 15e arrondissement de Paris.
William, qui s’est marié en 1998, et a eu depuis « trois enfants qui connaissent tout de cette époque », est parfois pris d’une angoisse : « Et si on ne gagnait pas cette finale ? » Il précise alors : « Il le faut, pas pour moi, pour eux. Pour que mes enfants vivent ce que j’ai ressenti en 1998. Une joie collective, nationale, fraternelle. Vivement dimanche. »