Chris Froome (à gauche) et son coéquipier de la Sky Geraint Thomas (maillot jaune), le 19 juillet pendant l’étape de l’Alpe d’Huez. / Peter Dejong / AP

Chronique. En deux décennies, la recherche en matière d’entraînement, de diététique, d’informatique et de lutte antidopage a eu deux conséquences. Les coureurs de talent qui ne trichent pas ont fait croître de 8 % leurs performances. Dans le même temps, le niveau moyen de ceux qui gagnent a décru d’autant : 8 %. Nos calculs de la puissance développée par les coureurs le montrent.

La période faste des exploits mutants des Miguel Indurain, Jan Ullrich ou Marco Pantani, dans les années EPO, est révolue. Elle a été suivie de prouesses moindres mais miraculeuses, celles de Lance Armstrong ou Alberto Contador dans les années 2000. Elles ont, enfin, fait place depuis 2010 à d’autres, encore inférieures, moins spectaculaires, presque humaines. Certaines suscitent néanmoins la suspicion. Si le niveau général des meilleurs est bien moins bon, si celui du ventre mou du peloton s’en rapproche, il existe une exception qui confirme la règle : le collectif de l’équipe Sky, si dominateur. A son crédit, elle est à la pointe des progrès dans tous les domaines en matière de suivi du coureur.

En 1998, chez Festina, équipe pionnière, j’étais le seul entraîneur salarié existant du milieu cycliste professionnel. En 2018, dans chacune des vingt-deux équipes du Tour, ils sont pléthore. Ils ont le rôle-clé que l’on donnait auparavant aux docteurs, comme les kinésithérapeutes ont remplacé les « soigneurs-dopeurs ». Les watts, dont nous nous servons pour mesurer la puissance, voués aux gémonies au début des années 2000 quand je les agitais comme preuves de la tricherie de Lance Armstrong, sont devenus les principaux outils de la gestion de l’entraînement et de la performance. La « data » a remplacé les intuitions du directeur sportif maquignon.

Chaque coup de pédale est interprété

Sky l’a compris. Tous les coureurs, qui s’entraînent collectivement en altitude, sont équipés de capteurs de puissance. L’équipe utilise des logiciels analysant les bases de données des 32 000 kilomètres parcourus par Froome dans une année. L’Anglais gère tous ses efforts grâce à son compteur. L’écran affiche ses watts en relation avec ses fréquences cardiaques et sa cadence de pédalage. Chacun de ses 5 500 000 coups de pédale annuels peut être quantifié, interprété. Le logiciel fait en permanence la balance entre les charges d’entraînement préconisées et son profil individuel de puissance. Des courbes et asymptotes anticipent et prédisent les temps de montée . Les capacités de chacun sont déterminées avec exactitude.

L’étape de l’Alpe-d’Huez a révélé tout cela. Certains coureurs sont l’ombre des vainqueurs du passé, voire d’eux-mêmes. Ils sont contrôlés par le collectif Sky. Celui-ci a géré tous les cols sans paniquer, au watt près, comme à l’entraînement, où les Britanniques digèrent des dénivelés comparables. Avec un temps d’ascension de 41 minutes et 16 secondes, Geraint Thomas s’est imposé devant Froome pour un nouveau doublé Sky attendu à Paris. Le Gallois ne rentre même pas dans les cent meilleurs de tous les temps de la montée mythique. Ancien pistard comme Bradley Wiggins, vainqueur du Tour 2012, il a, comme lui, perdu beaucoup de kilos pour en arriver là et entrer dans le logiciel. Le secret de la Sky réside-t-il dans un autre logiciel, qui intègre les taux d’hormones de ses coureurs ? On sait désormais beaucoup de choses sur les méthodes du Team Sky. Mais on ne sait toujours pas pourquoi ça marche. Or, tout est là.

Antoine Vayer est enseignant. Vingt ans après l’affaire Festina, équipe dont il était l’entraîneur en 1998, il explore durant ce Tour de France les métamorphoses du cyclisme.