On n’est pas obligé d’aimer le vélo, mais c’est difficile de ne pas aimer la montagne. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

13E ÉTAPE : BOURG-D’OISANS - VALENCE, 170 KM

Le sketch continue, il va durer jusqu’au pied des Pyrénées, peut-être même jusqu’à leur sommet, peut-être même jusqu’à Paris. L’Alpe d’Huez faisait hier office de scène à une nouvelle représentation du « G and Froomey show », la dernière création du cirque Sky, en tournée dans toute la France depuis le 7 juillet. Le spectacle n’a pas été accueilli favorablement par le public savoyard, sans doute déboussolé par tant d’avant-garde, qui a bousculé Chris Froome dans l’ascension finale, et conspué Geraint Thomas sur le podium.

Qui de Froome ou de Thomas va remporter le Tour de France ? L’équipe Sky se tue à répéter que le premier est son incontestable leader, et c’est le second qui n’arrête pas de gagner, comme il l’a fait hier en haut des 21 virages. Une victoire qu’il a qualifiée de « démente », (« insane »), et à laquelle, a-t-il assuré dans une déclaration qui confine au foutage de gueule hors catégorie, il n’avait d’abord pas cru : « En franchissant la ligne, je me suis dit : “C’est pas possible, il y a sûrement quelqu’un devant.” »

Comme on peut le constater, au moment de franchir la ligne à l’Alpe d’Huez, Geraint Thomas semble en effet se dire qu’il y a sûrement quelqu’un devant lui. / MARCO BERTORELLO / AFP

Le discours post-Alpe de Geraint Thomas fut un copié-collé du discours post-Rosière de la veille : « Pour moi, Froome reste le leader. Il a gagné six grands Tours, et sur trois semaines, il offre des garanties. Moi, sur un jour, je peux tout perdre. » Lorsqu’il soulèvera le vase de Sèvres sur les Champs-Elysées, vêtu de son maillot jaune éclatant, dimanche en huit, vous verrez que le Gallois prendra le micro pour jurer que c’est Chris Froome le leader, parce que lui-même est encore capable de se vautrer en loupant une marche à la descente du podium.

Balayer les chiottes

Froome, de son côté, a également dit tout le bien qu’il pensait d’une situation qui lui est pourtant de moins en moins favorable : « Geraint mérite totalement d’être en jaune. Je pense que c’est une position rêvée pour nous, avec la première et la deuxième place au général. Cela nous permet de jouer sur deux tableaux. »

Fort heureusement, dans la foulée de l’étape, nous avons croisé l’ancien champion Cyrille Guimard, qui décrypte : « Tu es Maillot jaune du Tour, tu gagnes les deux grandes étapes de montagne et tu dis : “non je suis juste là pour balayer les chiottes” ? Attends, on se marre ! Il est impossible qu’à un moment Geraint Thomas n’ait pas envie de gagner le Tour, comme il est impensable que Froome ait envie de se sacrifier pour Geraint Thomas. Les deux veulent gagner, et rien de plus légitime à cela. »

Se superposant au Tour de France, le championnat interne de la Sky va nous tenir en haleine jusqu’au bout. Saluons d’ailleurs ici l’effort louable de l’équipe britannique qui, au lieu d’écraser le Tour avec un seul homme, a choisi de le faire avec deux, afin d’assaisonner une course qu’elle a rendue insipide. Fournir soi-même l’adversaire de son leader pour rendre le scénario palpitant, bien vu.

Démare, grand gagnant des Alpes

Pour ceux qui veulent encore croire à une issue différente, la suite du Tour risque de ressembler à une forme de torture par l’espérance. Et s’ils craquaient dans les Pyrénées ? Et s’ils craquaient dans le dernier contre-la-montre ? Et s’ils craquaient à force de ne pas trancher entre l’un et l’autre ? Ah là là.

Au revoir les Alpes, en route pour les Pyrénées, via trois étapes de transition au cours desquelles on guettera davantage l’évolution du discours des Sky que les sprints finaux. D’autant que la montagne, qui a englouti Vincenzo Nibali, a décimé le troupeau des sprinteurs. Vaincus par la pente ou les délais, Gaviria, Groenewegen, Cavendish, Kittel et Greipel ne sont plus là. Tout ça commence à sentir très bon pour Arnaud Démare : encore trois abandons pour Sagan, Kristoff et Degenkolb, et à lui le maillot vert !

Départ 13 h 35. Arrivée prévue vers 17 h 30.

Le Tour du comptoir : Bourg-Saint-Maurice

Chaque matin du Tour, En danseuse vous envoie une carte postale du comptoir d’un établissement de la ville-départ de la veille.

Où l’on a eu la paix.

Tout le monde le sait : le Tour de France rend fou. L’itinérance, le chaos des zones de départ et d’arrivée, l’assourdissante frénésie de la caravane publicitaire, l’hystérie qu’elle déclenche sur son passage. Tout cela serait folklorique si ça ne durait qu’un jour ou deux. Sur trois semaines, c’est parfaitement abrutissant, et au fil des jours, on finit par ne plus réclamer qu’une seule chose : avoir la paix.

Le Café de la Paix tombait donc à pic. Tout en haut de la Grande Rue de Bourg-Saint-Maurice, à l’écart du tumulte, rempli d’habitués paisibles. On demande à Marie, derrière le bar, de nous raconter l’histoire de ce café, et on apprend des morceaux d’Histoire de France : son père a racheté l’endroit en 1952, après avoir été chassé du village de Tignes par la construction du barrage qui allait l’engloutir. Voyez plutôt ces images saisissantes (à partir de 1:35) :

EDF, la construction du barrage de Tignes
Durée : 02:12

Le Café de la Paix a par ailleurs servi de décor à une série diffusée dans les années 1970, intitulée « Le Miroir 2000 », qui évoquait la prolifération des stations de ski à l’époque, série dont vous pouvez retrouver les épisodes sur YouTube si vous ne savez que faire en attendant le départ de l’étape du jour.

On avise deux messieurs curieux de notre curiosité pour les lieux. Emilio, 71 ans, et Tino, 65, électricien et plombier à la retraite. « C’est nous qui avons fabriqué les stations de ski du coin ! », claironnent-ils. Si ça trouve, Emilio et Tino apparaissent dans un épisode de « Miroir 2000 ». Vous pouvez vous amuser à les y chercher si vous ne savez que faire en attendant le départ de l’étape du jour.

Tino vient de Cuneo, dans le Piémont voisin, d’où il est arrivé à l’âge respectable de 1 an. Emilio, arrivée à 21 ans, fête son cinquantenaire en France cette année. Il est originaire de Santa Giusta, en Sardaigne, et on lui a promis de publier une photo de la belle basilique de son village.

Les deux compères me refont l’histoire de la Savoie, italienne jusqu’en 1860, évoquent l’importante immigration transalpine dans le coin, disent regretter l’époque où le pays finançait le voyage à ses ressortissants à l’étranger pour qu’ils reviennent voter lors des élections. Tino regrette surtout le temps du franc et de la lire : « Avant, quand je retournais en Italie, j’étais un pacha. Avec l’euro, je ne suis plus un pacha. » Petit moment de réflexion. « Je suis un plucha. »

Avant de partir, on s’enquiert, comme on le fait dans chaque ville-étape, du gentilé local. Sachez donc que les habitants de Bourg-Saint-Maurice (mais dites seulement Bourg, et prononcez « Bourque », si vous voulez faire local) sont les Borraines et les Borrains. « Les Borrains, pas les bons à rien, hein ? », insiste Emilio. Tino intervient : « Un peu plus haut en Savoie, il y la commune de Notre-Dame-de-Bellecombe. » Son œil s’allume : « Vous savez comment s’appellent les habitants là-bas ? » Non. Son œil s’illumine : « Les hommes, ce sont les Bellecombais. » Et les femmes ? Son œil crépite : « Les Bellecombaises. »

Désolé.