Nantes face aux enjeux de sa densification
Nantes face aux enjeux de sa densification
Par Laetitia Van Eeckhout
La métropole invite ses habitants à donner leur avis sur ce qui mérite d’être préservé, amélioré. Ces recommandations alimenteront le prochain plan local d’urbanisme métropolitain.
A Nantes, les habitants sont invités à parcourir leur quartier et faire une liste de ce à quoi ils tiennent (architectures, petit patrimoine, mobilité, ambiance, nature...). Soumises aux services de la ville, leurs préconisations doivent permettre de protéger et valoriser les qualités paysagères de la ville, face à sa densification. / MAP Paysagistes
Une statue, un manoir, un arbre remarquable, un massif fleuri en façade de rue, une petite ruelle… Autant d’éléments constitutifs de la ville, de son caractère, et qui pourtant font souvent les frais de sa densification. Pour préserver l’esprit de ses quartiers et garder une ville respirable, Nantes-Métropole, qui affiche l’un des taux de chômage les plus bas de France (7,1% au 1er trimestre 2018 selon l’Insee) et gagne chaque année près de 5 000 habitants, a décidé de solliciter ses citoyens et de confronter leur ressenti à la vision technique des professionnels chargés d’aménager la ville.
Cette « expertise citoyenne », la ville en a fait le moteur du plan paysage et patrimoine (PPP), qu’elle développe depuis 2016. L’idée de ce PPP d’un nouveau genre est de favoriser, quartier par quartier, ce regard croisé entre professionnels et habitants, et de le transcrire en plans d’actions. Ces « plans guide » doivent alimenter le prochain plan local d’urbanisme métropolitain (PLUM). Et sont appelés à être transmis aux promoteurs et architectes avant leur intervention dans les quartiers.
« Tout l’enjeu, relève Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente de Nantes-Métropole, est de répondre aux exigences de notre attractivité, en arrivant à concilier densification et qualité de vie, grande ville et douceur de vivre. Il s’agit de construire la ville sur elle-même, sans reproduire les erreurs du passé, sans raser sa richesse. Et pour cela, on doit être capable de faire du cousu main. »
Inventaire des atouts et faiblesses
Ainsi, les habitants sont invités à parcourir, accompagnés d’un paysagiste, leur quartier de long en large pour faire un inventaire de ses atouts et de ses faiblesses, de ce qui va et ne va pas, de ce qui mérite d’être préservé, amélioré : petit patrimoine issu de l’histoire singulière de chaque quartier, qu’il soit construit (porches, portails, puits, fontaines…) ou vivant (arbres remarquables, alignements végétaux…), perspectives visuelles, vues lointaines, caractéristiques architecturales ou encore problèmes de circulation, carrefour dangereux à aménager, place envahie par les voitures à rendre aux riverains…
Rue Paul-Deltombe, dans le quartier Erdre-Saint-Donatien, Gérard Kermoal pointe le mur de vieilles pierres haut de six mètres qui borde un côté de l’allée montante. « Il ne faudrait pas qu’il soit détruit, comme l’a été en haut de la rue le manoir Saint-Donatien pour laisser place à un immeuble neuf », soupire ce jeune retraité qui dit être régulièrement sollicité par des promoteurs immobiliers pour vendre sa maison. Toute jeune entrepreneuse, Julia Marguero se dit tout aussi « choquée par le manque de qualité des opérations immobilières » et déplore les « immeubles moches » qui entachent ce quartier. Elle a fait le choix de venir s’y installer il y a trois ans, pour « ses ruelles, ses petites maisons » et la « vraie qualité de vie » qu’il offre. Elle ne voudrait pas qu’il se défigure davantage.
Expertise du quotidien
A partir du portrait qu’ils dressent de leur quartier, les habitants sont appelés à définir un plan d’action qu’ils iront présenter aux services urbanisme, espaces verts et patrimoine de la ville, lesquels doivent apporter des réponses concrètes, et motivées en cas de refus ou de désaccord. « Cette confrontation est intéressante, car elle permet de compléter, d’élargir la vision très technique des services de la ville par une expertise du quotidien, du vécu apportée par les citoyens. Et en cela, elle les amène à évoluer dans leur façon de travailler », relève Gaëlle Pinier, paysagiste cogérante de MAP, une des agences en charge d’animer les ateliers dans les quartiers.
Déplorant que la petite place des Enfants nantais soit devenue un « vrai autodrome », les habitants du quartier Erdre-Saint-Donatien à Nantes ont exprimé le souhait qu’elle soit rendue aux piétons et accueille un marché hebdomadaire. / LA TERRE FERME
Pour la ville, la démarche a aussi une vertu pédagogique : elle doit permettre de faire prendre conscience aux citoyens des contraintes réglementaires, techniques ou sécuritaires auxquelles les professionnels doivent faire face. En filigrane, elle espère ainsi que cette initiative contribuera à réduire le nombre de recours.
« Cette confrontation en face à face est une des clés de la démarche, car il faut vraiment que la ville s’engage, apporte des réponses et assure un suivi sur le long terme. Cette démarche crée des attentes auxquelles il faut qu’elle réponde, insiste néanmoins Gaëlle Pinier. Elle est d’autant plus importante que certains habitants manifestent une méfiance au début, se demandent si ce n’est pas juste un plan pour faire passer la pilule des opérations immobilières avec quelques pots de fleurs. »
Singularité
« La mobilisation est plus compliquée que sur un projet urbain, observe lui-même Thibault Barbier de l’atelier Georges. A Nantes, il existe déjà beaucoup de concertation, et sur celle-ci, les enjeux ne sont pas d’emblée clairs pour les gens. Lors du premier atelier, il faut être très concret et ne pas hésiter à appuyer sur les tensions que pourrait susciter tel ou tel projet immobilier. Il faut rentrer dans le dur du sujet » relève cet urbaniste paysagiste tout en formulant le souhait que ce plan ne soit pas qu’« un outil de communication ».
« Il y a une part de risque, d’audace pour la collectivité », reconnaît Johanna Rolland, consciente de l’enjeu. La présidente de Nantes-Métropole, qui veut aussi faire de ce PPP « un outil pour lutter contre la standardisation, l’aseptisation des grandes villes et métropoles », sait cette part de risque et d’audace nécessaires pour que sa ville « cultive [sa] singularité ».
Sur les onze quartiers de Nantes, quatre ont déjà élaboré leurs plans d’action. Et trois sont en cours. Sans attendre que tous les quartiers soient couverts – d’ici à 2020, promet la ville –, a notamment déjà été actée l’inscription au PLUM de la protection systématique des haies bocagères et arbres remarquables en espace boisés classés, et le renforcement de la protection des espaces de nature en ville.