Impossible de rater Pierre Latour sur les routes du Tour de France. De l’extérieur, il y a ce maillot blanc du meilleur jeune porté depuis la 11e étape qui capte les regards. Mais dans l’intimité du peloton du peloton, le coureur de 24 ans (14e au classement général) s’annonce à plusieurs mètres à la ronde par un rire que certains qualifieront d’original. « Il est bizarre, je sais », admet volontiers le lieutenant de Romain Bardet au sein de l’équipe AG2R La Mondiale.

Bon public, le Drômois peut même se bidonner à s’en donner un point de côté. Il raconte l’épisode de ce Tour du Finistère où son coéquipier Samuel Dumoulin « s’est mis en position de Superman en haut d’une bosse : j’ai tellement rigolé que j’ai failli me faire lâcher du peloton ».

A l’heure d’un cyclisme régi par les gains marginaux et un ascétisme pas toujours tordant, Pierre Latour est une bulle de légèreté. Un garçon qui a longtemps parlé à ses jambes (« Brigitte et Bernardette »), les a encouragées ou conspuées et qui regrette que la préparation du Tour le prive depuis deux ans de la fête de la pogne (une brioche à la fleur d’oranger) de Romans-sur-Isère. Un drôle de numéro, donc. « Je m’en fous si on pense que je suis étrange », racontait-il au Monde en début lors d’un stage en Sierra Nevada en mai.

A plus de 2 300 mètres d’altitude, Pierre Latour fait le métier, comme on dit. Il mange, dort et rêve peut-être même cyclisme, lui qui avoue n’avoir jamais eu d’idole à cuissards et a longtemps préféré le cheval, avant de monter sur un vélo à 15 ans « pour faire le con ». Le père, tourneur fraiseur, a bien roulé chez les amateurs dans sa jeunesse, mais sans refiler le virus au fiston. « Il regardait le Tour en juillet, mais moi je lui disais qu’il m’emmerdait avec son cyclisme et je m’endormais devant sur le canapé. »

Quelques années plus tard, l’ancien téléspectateur narcoleptique remporte la classique des Alpesune course qui vous classe un futur grimpeur chez les juniors et « [prend] un peu conscience » de ses qualités. Mais l’idée de carrière l’effleure encore de loin. Latour s’inscrit en BTS électrotechnique sans demander d’horaires aménagés, menant sa carrière chez les amateurs et sa scolarité à sa façon. Sans stress excessif, disons. « Pour le BTS blanc, je me suis dit que je n’allais pas réviser comme ça, je saurais ce que je sais et ce que je ne sais pas. Bon, j’ai eu 4 ou 5. Je ne savais pas grand-chose apparemment. »

Leader sur la Vuelta en 2019

Son diplôme en poche (« à ras les pâquerettes ») il rejoint AG2R La Mondiale en 2015 pour trois saisons en non deux comme la tradition le veut dans l’équipe dirigée par Vincent Lavenue. Preuve que ce dernier perçoit déjà le gros moteur du coureur derrière le garçon fâché avec le sérieux. Le directeur sportif, Julien Jurdie, a appris depuis à composer avec « ce phénomène ». Derrière « ses blagues à deux balles », il décrit un autre Latour. Plus méchant et dur au mal dès qu’il accroche un dossard sur son dos. « Mentalement, c’est un des garçons les plus forts du peloton, assure Jurdie. On le voit grimacer, à la rupture, mais ne jamais lâcher. Il sait se faire mal, ça ne se travaille, il a ça en lui. »

Demandez plutôt à Darwin Atapuma. Lors de la 20e étape du Tour d’Espagne 2016, le Colombien pense bien avoir décroché son compagnon d’échappée dans le dernier col. Latour agonise, pédale avec les oreilles et les épaules mais dépose son adversaire dans les derniers hectomètres. « Au niveau de l’échelle de la souffrance, j’étais pas mal », dit-il. Aux commentaires ce jour-là sur Eurosport, Richard Virenque sait depuis qu’il ne faut jamais enterrer Pierre Latour.

Du Desespoir a la Joie!! Merci Pierre Latour
Durée : 02:15

La saison prochaine, le Français devrait retrouver les routes de la Vuelta. Chez AG2R La Mondiale, on a envie de savoir si le bras droit de Romain Bardet a l’étoffe d’un leader sur un grand tour. Son potentiel excite déjà les imaginations patriotiques. Le coureur grimpe et roule fort, comme le prouvent ses deux titres de champion de France du contre-la-montre. Un profil plutôt rare qui, dans le cyclisme français, vous catapulte assez vite en héritier de Bernard Hinault, dernier vainqueur tricolore du Tour en 1985.

Troisième du Tour de Catalogne cette saison, Latour a déjà prouvé qu’il pouvait maintenir sa concentration sur une semaine. Et forcer un peu sa nature lunaire. « Je peux me relâcher, traîner en fin de peloton, admet-il. Parfois, je me retourne et je me rends compte qu’il n’y a personne derrière moi. Sur une semaine, je suis parvenu à me concentrer. Sur trois, c’est autre chose. »

D’ailleurs, il avoue ne pas trop savoir s’il aime le Tour et vouloir ne vivre que pour ce bout de tissu jaune comme un Bardet. « Moi, j’ai besoin de débrancher par moments. » Après le Tour de France, il a d’ailleurs prévu d’emmener Brigitte et Bernadette en balade pédestre dans sa campagne drômoise : « Mes parents ont un nouveau chien, il faut bien le promener un peu. »