Il n’y a pas eu de putsch chez Sky dans cette courte étape de montagne, pour la bonne raison que Christopher Froome n’en avait pas les moyens. La victoire finale se rapproche pour Geraint Thomas, tout en contrôle aujourd’hui, tandis que la deuxième place se jouera entre Dumoulin, Roglic et Froome, lâché pour la première fois de sa « deuxième » carrière sur un col du Tour de France. Devant le quatuor, Nairo Quintana réalise un numéro dans le dernier col et sauve son Tour, tandis que Romain Bardet a subi une défaillance.

  • Geraint Thomas va donc gagner le Tour de France…

« G » dans la brume. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Chris Froome au bord de l’asphyxie, tirant la langue, distancé, pendant que son maillot jaune de coéquipier Geraint Thomas s’envole vers la ligne d’arrivée grappiller quelques secondes d’avance supplémentaires. Si la 17e étape n’a pas été le feu d’artifice espéré (voir plus bas), elle a fourni cette image forte du triple tenant du titre en détresse, et restera dans l’histoire comme le jour où l’ambiguïté a disparu : le Tour 2018 est promis à Geraint Thomas.

Le Gallois de 32 ans, qui ne devait être qu’un lieutenant, comptait ce matin un avantage de 99 secondes sur celui qui était censé être son leader. Troisième au col du Portet, il lui en a pris 52 de plus, et son avance sur Froome s’élève désormais à 2 minutes et 31 secondes. Verdict de Geraint Thomas à l’arrivée : « Je pense que je suis en bonne position maintenant. » Un euphémisme alors qu’il reste une étape pyrénéenne vendredi, par-delà le Tourmalet et l’Aubisque, et un contre-la-montre samedi.

« On a un leader qui est clairement défini, les choses sont beaucoup plus claires », confirme Nicolas Portal, directeur sportif de l’équipe Sky. Est-ce plié ? « “G” est quand même très très fort. » Froome lui-même a entériné la nouvelle hiérarchie officielle de l’équipe britannique : « “G” mérite d’être en jaune, on croise les doigts pour qu’il le garde jusqu’à Paris. Deux minutes, c’est plutôt confortable comme avance. Ce sera très difficile de perdre ce Tour de France. »

De son côté, Dave Brailsford a sorti l’extincteur pour éteindre son équipe qui a du mal à ne pas s’enflammer. « On a deux minutes d’avance, la probabilité qu’on remporte cette course repose plus sur Geraint à présent je pense, euphémise le manageur de l’équipe. Mais ça ne veut pas dire pour autant que tout est fini. »

L’affaire semble pourtant entendue, Chris Froome ne remportera pas son cinquième Tour de France dimanche, sauf chute de ses rivaux, ou nouveau miracle façon Bardonnechia, la ville d’arrivée de la 19e étape du dernier Tour d’Italie. Au matin, il comptait 3 minutes et 22 secondes de retard sur le leader du classement général. Le soir, il avait enfilé le maillot rose et possédait 40 secondes d’avance sur son dauphin, après avoir tout renversé lors d’un raid solitaire stupéfiant. « S’il y a bien quelqu’un capable de rebondir, c’est Chris Froome », assure Brailsford. Là, ce ne serait plus un rebondissement. Ce serait une révolution.

  • … mais le podium n’est pas joué

BENOIT TESSIER / REUTERS

Primoz Roglic pourra raconter ça à ses petits-enfants : « J’ai fait craquer Christopher Froome dans un col du Tour de France. » C’est arrivé pour la première fois ce 25 juillet 2018, et le Britannique, par son relatif coup de mou, rend la course au podium palpitante. Roglic pourra-t-il raconter à ses petits-enfants qu’il est monté sur le podium du Tour de France ? Possible : le voilà revenu à 16 secondes de Christopher Froome. Mais il ne faut pas compter sur lui pour le dire : le Slovène n’est pas du genre bavard et a bien regardé le dernier Tour d’Italie. Il est donc prudent : « On a vu ce qu’a fait Froome sur les derniers jours au Giro. Il n’est pas fini. Beaucoup de choses peuvent encore se passer. On veut toujours plus mais c’est mon deuxième Tour de France, je dois être réaliste. »

Réaliste aussi, Tom Dumoulin voit bien, lui, que Froome n’est pas sur la pente ascendante, à la différence de la dernière semaine du Tour d’Italie. « Peut-être que l’enchaînement Tour-Vuelta-Giro, c’est un peu trop, observe le Néerlandais, désormais deuxième. Mais je ne suis pas ici pour faire perdre le Tour à Froome, je suis ici pour le gagner moi-même ou pour faire le podium. Je suis toujours très fort. »

Problème : Roglic l’est aussi et le numéro réalisé par Nairo Quintana dans le dernier col, grimpé une minute plus vite que Geraint Thomas, montre qu’il arrive dans les Pyrénées frais comme un gardon. Vendredi, il faudra ouvrir grand les yeux : il n’est pas exclu de voir le prudent Colombien attaquer une deuxième fois en trois jours.

  • « On a une course d’enfer ! »

Verdict : c’est Dumoulin qui a les jambes les plus longues. / BENOIT TESSIER / REUTERS

C’est lorsqu’on s’est approchés de Philippe Mauduit, directeur sportif de l’équipe UAE Emirates, que l’on s’est demandé si on venait de voir la même course. Coureurs et directeurs sportifs n’apprécient jamais que l’on dise que la course n’a pas été tout à fait à la hauteur des attentes car, quel que soit le spectacle, la souffrance est immense.

Mais tout de même, après cette étape-sprint dont tout le monde – organisateurs, presse ET coureurs – attendait beaucoup – des leaders isolés de leurs coéquipiers dès le sommet du premier col, des tentatives de la dernière chance de Quintana, Bardet ou Landa – et qui s’est finalement animée dans le troisième et dernier col, comme dans une étape de montagne traditionnelle du Tour, on a osé cette simple question : « Comment expliquer cette course d’attente entre favoris, alors que les précédentes étapes courtes de montagne, en 2011 et 2017, avaient donné lieu à des attaques dès le début de l’étape ? »

Et on a pris la grêle : « Si tu as vu une course d’attente, il faut que tu ailles te raser les pattes et que tu ailles dans le peloton, tu verras comment ça se passe. Dans tous les cols, on a perdu des mecs dans le peloton, et au pied du dernier col ils n’étaient pas si nombreux que ça à être dans le groupe des leaders. Je ne sais pas ce qu’on peut faire de plus. Tirez-leur un grand coup de chapeau à tous, parce que, de l’intérieur, j’ai l’impression qu’ils nous ont offert un spectacle extraordinaire. Vous êtes toujours négatifs ! Vous êtes tous là à vous concentrer sur le maillot jaune : ils se suivent, ils s’attaquent pas… Mais les gars, le Tour de France a toujours été comme ça ! Vous pleurez sur le classement général mais réjouissez-vous de ce que vous voyez autour ! On a un spectacle d’enfer ! Putain, c’est une course d’enfer ! Le 10e qui attaque, le 8e qui attaque, le 5e… c’est exceptionnel, jamais on ne voit ça ! (A l’assistant de l’équipe :) Ils me cassent les couilles. »

Rhabillés pour l’hiver, ce qui tombe bien car il ne faisait pas chaud au sommet du col du Portet, on est allés vérifier qu’on avait bien vu, en 2011, les frères Schleck (alors 2e et 3e du classement général) attaquer dès le col du Galibier dans une étape de 109 kilomètres s’achevant à l’Alpe-d’Huez ; ou Mikel Landa et Nairo Quintana, 7e et 8e, lancer l’offensive dès le premier des trois cols dans l’étape de 101 kilomètres vers Foix l’an passé. Un scénario palpitant, incomparable avec l’étape du jour qui a vu l’équipe Sky contrôler l’échappée de Valverde et endormir son monde jusqu’au pied du col du Portet. Si bien qu’à mi-pente de cette dernière difficulté, quatre coureurs de Sky composaient le groupe de tête de neuf coureurs.

Nicolas Portal, directeur sportif de l’équipe britannique, explique cette différence par l’habitude prise par tous les coureurs de surveiller leur capteur de puissance :
« Le niveau est tellement haut et tout le monde sait désormais utiliser les SRM. Chacun sait au-delà de quelle limite il ne peut pas aller. Les gars sont beaucoup plus en alerte et savent rouler aux watts. Il y a moins de prise de risques car si on en prend et qu’on se rate, c’est fini. »

« Ça ne va pas faire plaisir à tout le monde », précise Nicolas Portal, car une partie du peloton demande déjà l’interdiction des capteurs de puissance en course. Le directeur du Tour Christian Prudhomme, croisé à l’arrivée, semblait, pour sa part, vouloir au plus vite prendre des initiatives pour brider la force collective de la Sky, qui terrorise l’ensemble de ses adversaires :
« Ce ne fut pas cadenassé mais ce fut moins “bim bam boum” (sic) que celle de l’Alpe-d’Huez en 2011 ou de Foix l’année dernière, oui. Je pense qu’il faut persévérer dans ces étapes courtes, et persévérer n’est pas diabolicum. On rêve tous de davantage d’attaques, que les choses se passent par l’avant plutôt que l’écrémage par l’arrière, c’est une évidence. Le “salary cap” (masse salariale plafonnée) me semble une très bonne hypothèse. Il faut aller vite. »

Nul doute que le message a déjà été transmis à David Lappartient, président de l’Union cycliste internationale.