« Mission : Impossible – Fallout » : Tom Cruise, cascadeur messianique
« Mission : Impossible - Fallout » : Tom Cruise, cascadeur messianique
Par Thomas Sotinel
Le sixième volet des aventures de l’agent Ethan Hunt survit à un scénario convenu grâce à une mise en scène efficace.
Dans « Mission : Impossible - Fallout », Tom Cruise se livre à une folle traversée de Paris. / PARAMOUNT PICTURES
Ethan Hunt n’est pas du genre à maudire la maire de Paris quand il est pris dans la circulation. Pourtant, le responsable de l’Impossible Mission Force (IMF) circule beaucoup dans la capitale. Des quais du 13e arrondissement à l’Odéon, du Marais à Montparnasse, en camion et en motocyclette, M. Hunt avale du kilomètre. Ce n’est pas un vrai Parisien non plus. Face à l’obstacle, il ne se sert pas des armes favorites de l’indigène – l’insulte et le klaxon. Il préfère prendre l’artère bloquée à contresens (sur l’avenue de l’Opéra, par exemple) ou jouer un remake de French Connection sous la portion aérienne de la ligne 6.
C’est – pour des spectateurs qui connaissent leur carte des vingt arrondissements – l’un des charmes de Mission : Impossible - Fallout que de suivre, pendant une bonne demi-heure, les périples frénétiques des agents de l’IMF, de leurs alliés et de leurs ennemis dans un décor d’autant plus familier qu’il est filmé avec attention (et peut-être affection) par Christopher McQuarrie. Le réalisateur trouve ici – et pas seulement dans les séquences parisiennes : le film s’attarde aussi à Londres entre la cathédrale Saint-Paul et la Tate Modern – un rythme, une économie de mise en scène qui n’apparaissaient pas aussi nettement dans Jack Reacher (2012) et Mission : Impossible - Rogue Nation (2015), ses deux premiers films avec Tom Cruise.
Souci de moralité
McQuarrie n’est pas seulement le réalisateur de ce sixième long-métrage de la série, il en est aussi le scénariste, son métier d’origine (son premier script fut porté à l’écran par Bryan Singer sous le titre Usual Suspects). Cette vocation originelle s’est émoussée. McQuarrie le scénariste n’assure à McQuarrie le réalisateur que le service minimum : cartel de terroristes, matériau fissile subtilisé, empêcher la destruction de l’humanité. A moins que cette usure ne se propage à partir de l’effigie même de la marque Mission : Impossible, Tom Cruise, 56 ans dont vingt-deux passés à la tête de l’IMF.
Ce n’est pas une question de paresse. Comme il le montre en détail sur son compte Twitter, Tom Cruise ne s’épargne guère : il s’est brisé la cheville en sautant d’un toit londonien à un autre, on le voit se balancer au bout d’une corde sous un hélicoptère en vol… Le cadre et le montage, croix de bois, croix de fer, vous jurent que c’est bien la star qui se met ainsi en danger. Les mêmes, hélas, sont bien obligés de reconnaître que celle-ci ne témoigne plus beaucoup d’intérêt pour le métier d’acteur. C’est sans doute pour cela que Tom Cruise le cascadeur en fait autant.
Grâce au privilège de l’éternelle jeunesse que le statut de star confère à ses détenteurs, on reconnaît les traits de l’adolescent de Risky Business et du prophète psychopathe de Magnolia. Ce masque s’anime à peine pour communiquer la résolution et le stoïcisme. Ethan Hunt en a besoin : après avoir laissé échapper des boules de plutonium (pour la bonne cause : il a préféré sauver la vie de ses camarades), il lui faut maintenant les récupérer sous la supervision d’un antipathique agent de la CIA (Henry Cavill, récent Superman). A ses côtés Luther (Ving Rhames, obligé de perpétuer la tradition de l’Afro-Américain de service, tâche dont il s’acquitte avec bonhomie), Benji (Simon Pegg, qui fut recruté il y a une dizaine d’années pour apporter un peu de soulagement comique et se voue aujourd’hui uniquement à la protection rapprochée de son supérieur) et Ilsa Faust (Rebecca Ferguson).
L’agente britannique ne peut même pas prétendre au statut de love interest puisque, malgré leur divorce, Hunt reste marié envers et contre tout avec Julia (Michelle Monaghan) qui apparaîtra, nimbée d’une odeur de sainteté. Ce souci de moralité prend peu à peu des proportions messianiques, et deux tirades à la fin du film expliquent l’air bougon de notre héros par la responsabilité qui lui incombe : sans lui, l’humanité s’éteindrait.
Morceaux de bravoure
Le ridicule ne tue pas, même les superproductions hollywoodiennes passées sous la coupe de leur star. A l’image de son indestructible protagoniste, Mission : Impossible - Fallout survit au ressassement de vieilles idées de scénario, à la mégalomanie de sa star. Grâce d’abord à l’efficacité de la mise en scène, déjà évoquée. Les morceaux de bravoure sont calculés pour susciter un mélange équilibré d’admiration et d’incrédulité. On sait bien que l’espérance de vie d’un homme qui dévale le dôme de Saint-Paul ou la coupole du Grand Palais, qui pilote une moto dans le sens des aiguilles d’une montre place de l’Etoile ou un hélicoptère en feu dans une vallée encaissée, n’excède pas quelques minutes. On voit aussi que les fabricants du film ont obtenu des acteurs et des figurants assez d’engagement physique pour que cette incrédulité soit momentanément suspendue. Malgré l’absolue certitude du triomphe du bien sur le mal, on se prend à serrer l’accoudoir du fauteuil.
Enfin, si le héros est fatigué, il faut tirer son chapeau aux méchants. On se doute vite qu’August Walker n’est pas un simple chien de garde de la CIA. Henry Cavill lui prête une élégance louche, une fluidité qui s’oppose à l’opiniâtreté un peu pataude de Tom Cruise. Celle-là même dont il fait preuve lorsque la Veuve blanche lui arrache un baiser (ce sera le sommet sensuel du film). Femme fatale, la Veuve blanche (c’est dans un détail comme ce sobriquet que l’on décèle la lassitude du scénariste) a les traits très britanniques de Vanessa Kirby (la princesse Margaret dans les deux premières saisons de The Crown). Elle seule semble se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps (lorsque Brad Bird réalisait Mission : Impossible - Protocole fantôme, en 2011), on n’était pas obligé de prendre Ethan Hunt au sérieux.
MISSION : IMPOSSIBLE - FALLOUT - Bande-annonce finale VF [au cinéma le 1er Août 2018]
Durée : 02:33
Film américain de Christopher McQuarrie. Avec Tom Cruise, Henry Cavill, Rebecca Ferguson, Ving Rhames, Simon Pegg, Alec Baldwin, Angela Bassett (2 h 27). Sur le web : missionimpossiblefallout.fr, www.facebook.com/Mission.Impossible