« Arythmie » : dans la veine d’« Urgences », la vodka en plus
« Arythmie » : dans la veine d’« Urgences », la vodka en plus
Par Thomas Sotinel
Le cinéaste russe Boris Khlebnikov navigue habilement entre l’absurde, le burlesque et la noirceur.
Oleg (Alexandre Yatsenko), le médecin urgentiste, rebelle et alcoolique d’« Arythmie». / LES VALSEURS
Rien de tel qu’une petite provision de préjugés pour apprécier un film. Surtout si celui-ci les bouscule. Son titre abscons, son affiche paroxystique (un couple s’étreint, par deux fois) et sa nationalité – russe – laissent présager une plongée dans les tourments de la guerre entre hommes et femmes. Et l’on a peur que se rouvrent les cicatrices laissées par Faute d’amour (2017), d’Andreï Zviaguintsev.
Dès la première séquence, on comprend que Boris Khlebnikov travaille sur un autre registre. Le titre est immédiatement expliqué, dans son acception la plus littérale. Une vieille dame acariâtre dont le cœur ne garde pas le tempo tente de convaincre un infirmier à la mine patibulaire (Nikolaï Chraiber) et un jeune médecin aux boucles d’angelot, qu’ils ont le devoir de l’hospitaliser.
Multiplication de ruses
L’angelot, en fait un diablotin, multiplie les ruses pour la maintenir à domicile. Dans les cités sinistres d’une grosse ville russe (le film a été tourné à Yaroslavl, à 250 km au nord-est de Moscou), Oleg (Alexandre Yatsenko) et son équipe (un infirmier, un ambulancier) sillonnent les rues et grimpent les escaliers pour soigner les patients à domicile ou les amener en vie jusqu’à l’hôpital.
Bref, Arythmie est un gros épisode de la série Urgences, avec plus de vodka et moins d’armes à feu. Ce seul aperçu médicalisé de la vie quotidienne urbaine en Russie suffirait à distinguer le film de Boris Khlebnikov. Le réalisateur (dont seul un long-métrage, son premier, Retour à Koktebel, est à ce jour sorti en France, en 2003) ne se contente heureusement pas d’enchaîner les saynètes comiques, désespérantes ou sanglantes (très belle bagarre du Nouvel An).
Oleg, excellent diagnostiqueur, praticien habile, est cependant un être humain inapte à la vie en société. Celle qu’il forme avec son épouse Katya (Irina Gorbatcheva), d’abord. Elle aussi est médecin, aux urgences, où elle réceptionne parfois les patients qu’amène son mari. Elle, beaucoup plus adulte, supporte de moins en moins l’état de rébellion perpétuelle de son conjoint, moins encore que son alcoolisme. Au travail, Oleg reste sobre, tout en prenant des risques disproportionnés si on les rapporte à ses responsabilités effectives (son supérieur hiérarchique, les médecins de l’hôpital aiment à lui rappeler qu’il n’est qu’un collecteur de patients).
Lorsqu’un nouveau responsable des urgences tente de faire appliquer les règles de la « réforme du système de santé », fondées sur des objectifs chiffrés de productivité, sa guérilla d’usure se transforme en insurrection ouverte. Boris Khlebnikov se rapproche alors d’une certaine veine du cinéma post-soviétique, qui coule plus souvent dans les ex-pays satellites. Arythmie détaille par le menu les accommodements avec l’éthique médicale que nécessite le perpétuel grand écart entre les traditions bureaucratiques héritées des régimes précédents et les nécessités de la rentabilité.
Le réalisateur, qui a écrit le scénario avec Natalia Meshchaninova, entrelace ce récit d’un épisode de l’apprentissage du libéralisme avec celui du délitement d’un jeune couple incapable de se souvenir de ce qui les a réunis, il n’y a pourtant pas très longtemps. A chaque fois que le film menace de verser dans la noirceur, le réalisateur injecte quelques centimètres cubes d’absurde ou de burlesque. Outre ses deux interprètes principaux, il peut compter sur une galerie de personnages épisodiques ou récurrents, patients et collègues des protagonistes, au premier rang desquels Nikolaï Chraiber, l’équipier d’Oleg, qui dévoile avec beaucoup de patience et d’habileté l’humanité de son personnage.
ARYTHMIE - Bande annonce
Durée : 01:40
Film russe de Boris Khlebnikov. Avec Alexandre Yatsenko, Irina Gorbatcheva, Nikolaï Chraiber (1 h 56). Sur le web : lesvalseurs.com/portfolio/arythmie, www.facebook.com/lesvalseursdistrib