Pénalisé par sa guerre des prix, SFR pousse à la consolidation du secteur
Pénalisé par sa guerre des prix, SFR pousse à la consolidation du secteur
LE MONDE ECONOMIE
Au deuxième trimestre, l’opérateur au carré rouge et blanc a certes gagné des abonnés, mais son chiffre d’affaires a reculé de 6,6 %, à 2,5 milliards d’euros.
Alain Weill, le directeur général d’Altice Europe (l’entité qui coiffe SFR), le 20 mars, à Paris. / ERIC PIERMONT / AFP
Depuis le début de l’année, la guerre des prix a repris de plus belle dans les télécommunications. Parti à la reconquête de ses clients, SFR s’est montré le plus agressif. L’opérateur au carré rouge et blanc a innové avec ses promotions « à vie », proposant des forfaits mobiles dotés de 30 gigas de données au tarif imbattable de 5 euros par mois. Jusqu’ici, les opérateurs limitaient les rabais dans la durée. « Cette guerre des prix est la plus forte de l’histoire des télécoms. On sait qu’il n’y a pas de modèle sur 30 gigas de données à 5 euros », lance un opérateur.
D’abord désarçonnée, la concurrence a fini par riposter. Bouygues Telecom s’est ainsi placé dans la roue de SFR, répliquant par des forfaits similaires. Free (dont le fondateur, Xavier Niel, est actionnaire du Monde à titre personnel) a proposé des forfaits à prix cassé à 0,99 euro par mois, mais en limitant sa promotion à un an. Seul Orange, le numéro un du secteur, s’est montré plus raisonnable.
Dans l’Internet fixe également, les promotions ont fleuri. Laminé par les tarifs de Bouygues Telecom, Free a revu de fond en comble sa politique tarifaire le 31 mai, lançant une salve de ristournes et ressortant du placard sa Freebox Crystal de 2013, qui n’était plus en vente, avec un abonnement à 9,99 euros pendant un an.
Cette guerre mortifère a un coût. SFR, qui a publié jeudi 2 août ses résultats trimestriels, a certes gagné des abonnés : 211 000 dans le mobile (à 12,9 millions de clients) et 13 000 dans le fixe (à 6 millions d’abonnés). En revanche, son chiffre d’affaires a reculé de 6,6 %, à 2,5 milliards d’euros. L’Ebitda, équivalent du résultat brut d’exploitation – un indicateur scruté par les marchés –, a quant à lui cédé 7,4 %, à 974 millions d’euros. « Pour accroître nos revenus, il nous faut d’abord regagner des abonnés », justifie Alain Weill, directeur général d’Altice Europe, l’entité qui coiffe SFR.
« C’est intenable pour le marché »
Tout en se défendant d’être l’instigateur des « super-promotions », le dirigeant espère continuer à gagner des clients tout au long de l’année, mais il exclut tout rebond du chiffre d’affaires et des marges. « Nos concurrents vont se montrer moins agressifs. Nos revenus remonteront l’an prochain », prédit-il, misant aussi sur la Ligue des champions de football, qu’il diffusera au second semestre. A ce titre, SFR a prudemment logé les dépenses dans les contenus au sein d’une entité à part. Au deuxième trimestre, Altice TV a perdu 62,3 millions d’euros.
En attendant, SFR rend la vie difficile aux opérateurs, en particulier à Bouygues Telecom et à Free, qui publieront leurs résultats dans quelques semaines. « C’est intenable pour le marché. On peut espérer que ce n’est que temporaire et que cela reflète le besoin d’Altice de rassurer les marchés », note Stéphane Beyazian, analyste chez Raymond James.
Certains tentent de faire remonter les tarifs. En parallèle de ses promotions, Free a introduit fin mai une augmentation de 5 euros du prix de ses abonnements fixes, faisant passer à 44 euros par mois au bout d’un an l’accès à sa Freebox Revolution et à 34,99 euros par mois sa Freebox Mini K. Bouygues Telecom a également revu son offre moyen de gamme.
Pour les concurrents de SFR, l’opérateur, à travers son agressivité tarifaire, chercherait à pousser en faveur d’une consolidation du marché, en le faisant passer de quatre à trois opérateurs. De bonne source, ce sont bien les « super-promotions » qui ont poussé Bouygues Telecom à tenter un rapprochement avec SFR au printemps. L’opérateur a même abordé le sujet avec des responsables au plus haut niveau de l’Etat.
Tension sur le front de la dette
Parmi les propositions évoquées figure une société commune entre SFR et Bouygues Telecom. Jusqu’à présent, les parties n’étaient pas parvenues à un accord. Les discussions se poursuivent-elles ? « Pas de commentaire », se borne à répondre Alain Weill. Il juge cependant la consolidation nécessaire, tout en précisant que SFR n’est pas celui qui en a le plus besoin.
Chez Bouygues, on pense que SFR, endetté à hauteur de 15,6 milliards d’euros, a desserré l’étau financier, en cédant ses tours télécoms pour 3,6 milliards d’euros et en repoussant une importante échéance de remboursement de 2022 à 2026.
Mais tout n’est pas rose pour autant. « Altice Europe doit assumer 1,8 milliard d’euros de frais financiers par an. Et pour la première fois, ils ont augmenté le coût financier de leur dette, signe que la situation commence à se tendre sur le front de la dette », observe Thomas Coudry, analyste chez Bryan Garnier. Autre déception : l’opérateur n’a pas réussi à céder son activité en République dominicaine, qui aurait pu lui rapporter entre 3 et 4 milliards d’euros.
Tous les opérateurs, hormis Orange, ont intérêt à une réduction du nombre des acteurs. Bouygues Telecom dispose de peu de moyens pour investir, et Free, en difficulté sur le fixe, doit en outre compléter son réseau mobile. Reste à savoir quel sera l’événement déclencheur. « La consolidation arrivera. Mais je ne peux pas dire si c’est dans trois mois, un an ou 5 ans », conclut Alain Weill.