Ivan Duque succède à Juan Manuel Santos à la tête de la Colombie
Ivan Duque succède à Juan Manuel Santos à la tête de la Colombie
Par Marie Delcas (Bogota, correspondante)
Elu sur le programme de la droite dure, le nouveau président se pose à présent en chantre de la réconciliation de tous les Colombiens.
Ivan Duque, le 17 juin 2018, à Bogota. / Fernando Vergara / AP
Tribune, haut-parleurs, écrans géants, tout est prêt sur la place Simon Bolivar de Bogota pour la passation des pouvoirs qui se tiendra mardi 7 août dans l’après-midi. Juan Manuel Santos (centre droit) termine son deuxième mandat. Prix Nobel de la paix pour avoir désarmé la grande guérilla du pays, il cède la place à Ivan Duque. Elu sur le programme de la droite dure qui veut la modification de cet accord, le nouveau président se pose maintenant en chantre de la réconciliation de tous les Colombiens. Mais il prend la tête d’un pays profondément divisé. La gauche toutes tendances confondues a appelé à manifester mardi matin en défense de la paix.
Alvaro Uribe comme mentor
Ivan Duque vient d’avoir 42 ans. Juriste de formation, il est rentré en 2014 des Etats-Unis – où il avait passé douze ans – pour devenir sénateur. Il n’a pas d’expérience de l’exécutif, et très peu de la politique. Mais il a pour mentor et conseiller l’ancien président Alvaro Uribe (2002-2010), réélu haut la main sénateur en mars dernier. Mais voilà que M. Uribe a été mis en examen le 28 juillet pour obstruction à la justice. Il risque la prison. « Ivan Duque qui ne peut ni trop s’appuyer sur Alvaro Uribe, ni le trahir, se retrouve dans une position délicate », souligne le défenseur des droits de l’homme, Alirio Uribe.
Ivan Duque a nommé un gouvernement technocrate. La moitié des ministères sont occupés par des femmes. La droite ultraconservatrice religieuse, qui avait soutenu sa candidature, en est absente. Mais les principaux portefeuilles – la défense, l’intérieur et l’économie – ont été attribués à des « uribistes » bon teint.
Santos a changé la Colombie, mais...
Quoi qu’en disent ses détracteurs, le président Santos peut se targuer d’avoir changé le pays. Des régions longtemps martyrisées vivent aujourd’hui en paix. Tous les indicateurs de violence du pays – homicides, enlèvements, disparitions – sont à la baisse. Les anciens chefs guérilleros siègent sagement au Congrès et, sur la scène internationale, l’image de la Colombie s’est considérablement améliorée. Les investisseurs ont repris confiance et les touristes débarquent par milliers. La pauvreté dite multidimensionnelle est passée de 30 à 17 %. « Je ne serai pas celui qui mettra l’accord de paix au panier », a déclaré Ivan Duque dès avant son investiture, se démarquant ainsi de l’aile la plus radicale de son parti.
Mais l’embellie colombienne reste fragile. Les réformes promises par l’accord de paix avec les FARC n’ont pas été votées. La réforme agraire est restée à l’état de promesse. Les guérilleros de base se sentent trahis. « Santos n’a signé la paix que pour aller chercher son Nobel », entend-on dire à gauche. Par centaines, les démobilisés ont repris leurs armes pour rejoindre les bandes criminelles organisées ou la petite guérilla de l’Armée de libération nationale (ELN) qui, engagée dans des négociations de paix à La Havane, reste active sur le terrain. Tous ces groupes armés se disputent les territoires laissés par les FARC. Les cultures de coca, la production de cocaïne et l’exploitation illégale de l’or s’y portent bien. Les assassinats ciblés de civils engagés continuent. « Il y a des élections régionales et municipales en 2019. Sans intervention décisive du gouvernement, la violence locale va continuer », s’inquiète Alirio Uribe.
Pas de rupture sur le plan économique
Ivan Duque ne s’est pas clairement prononcé sur la poursuite – ou non – des négociations de paix avec les guérilleros de l’ELN. En revanche, il a annoncé la reprise à grande échelle des épandages de glyphosate pour venir à bout des cultures de coca. La mesure n’est pas faite pour plaire aux paysans cultivateurs, ni aux écologistes.
Sur le plan économique, aucune rupture n’est à attendre. Juan Manuel Santos est presque aussi néolibéral que l’est Ivan Duque. Mais la réforme fiscale annoncée par le nouveau président et l’accélération de l’ouverture du pays aux grandes entreprises minières font craindre – ou espérer – une forte mobilisation sociale. En annonçant son intention de limiter le droit à protester, le nouveau ministre de la défense, Guillermo Botero – qui vient du patronat – a provoqué un tollé avant même de prendre ses fonctions.
Le Venezuela, un dossier chaud
La crise qui dévaste le Venezuela voisin est probablement le dossier le plus chaud qui attend Ivan Duque. Samedi, le président Nicolas Maduro, qui venait d’échapper à un étrange attentat, a accusé Juan Manuel Santos d’avoir voulu l’assassiner.
C’est dire l’état des relations bilatérales. Caracas continue de nier l’existence d’une crise migratoire, alors que plus d’un million de Vénézuéliens sont déjà installés en Colombie. En campagne, le candidat Ivan Duque jugeait Juan Manuel Santos trop conciliant avec « le dictateur ». Lui allait traîner Nicolas Maduro devant la Cour pénale internationale. Le président élu Ivan Duque a, pour l’heure, gardé le silence.