Emmanuel Macron lors d’un « bain de foule » de 15 minutes, à Bormes-les-Mimosas (Var), le 7 août. / BORIS HORVAT / AFP

Georges Pompidou serrait les mains et ouvrait les portes du fort aux caméras, demi-sourire matois et cigarette au bord des lèvres. Valéry Giscard d’Estaing, soucieux de se présenter en « Français comme les autres », faisait sensation sur les routes du Var au volant de sa voiture et s’invitait sur le terrain de tennis des voisins. Teint hâlé et chemise jaune poussin, Jacques Chirac recevait lui aussi la presse, après la messe à Bormes-les-Mimosas, à laquelle il assistait chaque dimanche au côté de Bernadette. On raconte même dans le village que le Corrézien appelait les commerçants du coin avant de se rendre dans leur boutique : « Bonjour, c’est le président. J’arrive ! »

Le sachant grand amateur de symboles, les journalistes postés devant le fort de Brégançon, rebaptisé « l’Elysée d’été », attendaient impatiemment de voir comment Emmanuel Macron investirait à son tour ce lieu emblématique de la VRépublique. Mais, à part un bain de foule d’une quinzaine de minutes, le 7 août, quatre jours après son arrivée, pas de cartes postales ni de jolies images pour les journaux télévisés. La quinzaine de photographes, cameramen et reporters qui campent devant le portail de la résidence présidentielle s’ennuie donc ferme.

Lire, se promener ou dormir. A en croire les communicants du président, les vacances de ce dernier ressembleraient beaucoup à celles des Français. A cela près que le lieu, où il réside pour une dizaine de jours encore, est exceptionnel : une immense bâtisse XVIIe perchée sur un rocher, dominant les eaux turquoise de la côte d’Azur, entourée de pins et de mimosas. Dans son bureau circulaire doté de larges fenêtres ouvertes sur la mer, Emmanuel Macron a apporté dans des cartons ses dossiers de l’Elysée. Sur sa table de travail, le même téléphone sécurisé qu’au palais, duquel il a appelé Angela Merkel, Vladimir Poutine et Donald Trump, vendredi 10 août, et une chaîne hi-fi pour travailler – « mais pas trop non plus », assure l’Elysée – en musique.

Colonie de vacances

Pour l’heure, aucune information ne fuite sur les déplacements du couple présidentiel. « Ce sont des vacances privées », répète en boucle l’attaché de presse élyséen, dépêché sur place pour l’occasion. Logé dans un hôtel à proximité, ce dernier assure un « point presse » informel deux fois par jour dans le petit restaurant de plage La Paillote, dont une partie de la terrasse a été transformée en QG par les « envoyés spéciaux » des médias nationaux.

Le numéro est bien rodé. Tous les jours, le jeune attaché de presse, en tee-shirt et lunettes de soleil, s’attable avec les journalistes qui commencent à s’impatienter et à qui il raconte le programme… de la veille. Porquerolles, île du Levant, Cavallière, Collobrières : les sorties du président ne sont divulguées qu’une fois terminées.

Emmanuel Macron lisant « Le Routard » avec son café : tel est le message de simplicité que souhaite faire passer l’Elysée pour ce deuxième été du quinquennat

La réunion informelle prend des airs de colonie de vacances. Jeudi 9 août, alors qu’étaient évoquées les lectures du président (Maurice Genevoix, Georges Bernanos ou encore Un été avec Homère de Sylvain Tesson…), la petite troupe rit jaune : « Ah, enfin, en voilà une info ! » Invariablement, le communicant sourit, prend un air désolé, et assure que les visites du couple présidentiel sont organisées de manière « spontanée » et qu’il n’est donc pas possible d’anticiper :

« Le programme se décide au jour le jour. Il y a quelques guides touristiques qui traînent dans le fort, et le président écoute les conseils des gens du coin… »

Emmanuel Macron lisant Le Routard avec son café et décidant du programme de l’après-midi avec son épouse : la simplicité, maître-mot des vacances de celui qui a souvent été surnommé « Jupiter ». Tel est en tout cas le message que souhaite faire passer l’Elysée pour ce deuxième été du quinquennat. Même le village tout proche de Bormes-les-Mimosas semble « trop touristique », le couple préférant « les rencontres simples, naturelles » dans les villages pittoresques et plus tranquilles de l’arrière-pays varois.

Alors, pour tuer le temps, les journalistes chevronnés racontent aux novices les invitations de François Mitterrand à venir l’écouter disserter sur la vie politique, ou l’époque chiraquienne où la fille du président, Claude, appelait pour prévenir des sorties en mer de son père.

« Tons taupe »

De leur côté, les baigneurs s’arrêtent devant le portail du fort, font quelques photos, puis partent poser leur serviette sur le sable. Un petit garçon tient le téléphone de sa mère, dans lequel il hurle : « Papa, papa, je suis à la maison du président ! » Quelques commentaires sur la piscine construite cette année à Brégançon, pour un coût annoncé de 34 000 euros, fusent. Le « président des riches », comme l’ont surnommé ses adversaires politiques, en prend parfois pour son grade. Un peu plus loin, Caroline, 10 ans, « fan » du président, dont elle a accroché le portrait dans sa chambre, fait la moue devant la grille fermée. La fillette reviendra demain avec ses parents, en espérant apercevoir son grand homme.

A Bormes-les-Mimosas, on commence aussi à s’impatienter. La directrice de l’office du tourisme, Valérie Collet, a déjà accueilli Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. « Comme on les a tous vus, ça serait sympa de le voir aussi », sourit-elle. Les vacanciers, eux, semblent moins intéressés. A l’office du tourisme, quelques questions, mais pas « la foule des années Chirac », assure la directrice. « A l’époque, on avait presque tout son emploi du temps. Aujourd’hui, c’est différent. Avec les réseaux sociaux, tout est analysé, épié… »

Elle n’en veut pas pour autant au couple présidentiel. Le village a déjà récupéré le fort, ouvert au public toute l’année depuis François Hollande. Une aubaine pour le tourisme. Valérie Collet a déjà hâte de redémarrer les visites en septembre, « pour voir les modifications qu’aura pu faire Brigitte Macron ». Elle raconte que le mobilier a déjà été changé en juillet : « C’est beaucoup plus moderne, dans des tons taupe, très épuré. »

Florence, 53 ans, vend plus de magnets « France championne du monde » que « Fort de Brégançon »

Dans le centre du village, Ruben Courbin, un commerçant de 46 ans, pense business. La présence des Macron « est une très bonne nouvelle d’un point de vue marketing », assure l’homme d’affaires. « Après les incendies [1 600 hectares de forêts sont partis en une nuit, en juillet 2017] et les inondations, on va enfin pouvoir parler de notre région noblement. » Il excuse même le président de ne pas vouloir se rendre dans le village, bondé de touristes à cette saison :

« Il n’a peut-être pas envie de se retrouver dans une foule où il pourrait se faire harceler. Les gens en vacances sont trop détendus, ils se croient tout permis. »

Tous ne font pas la même analyse. Un peu plus loin dans les rues pavées de Bormes-les-Mimosas, Florence, 53 ans, vend plus de magnets « France championne du monde » que « Fort de Brégançon ». Assis sur un banc, en face de la boutique de souvenirs, la famille Delbove ne prête aucune attention non plus à ses illustres voisins. Le fils, Simon, adolescent, s’étonne même que des vacanciers fassent le pied de grue en bas du fort de Brégançon. « Ils sortent d’où, ces badauds ? Parce qu’avec la cote de popularité qu’Emmanuel Macron a en ce moment… »