De plus en plus isolé, Erdogan s’en remet à Poutine
De plus en plus isolé, Erdogan s’en remet à Poutine
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Le maintien de la sphère d’influence turque dans le nord de la Syrie dépend du bon vouloir de Moscou.
Recep Tayyip Erdogan à Trabzon, sur la mer Noire, le 12 août. / MURAT KULA / AFP
Confrontée à une crise diplomatique sans précédent avec les Etats-Unis, affaiblie par la crise financière et l’effondrement record de sa monnaie, la Turquie se cherche « de nouveaux alliés », a prévenu le président Recep Tayyip Erdogan, dimanche 12 août au soir, face à ses partisans à Trabzon (région de la mer Noire). Il s’agit, selon le chef de l’Etat turc, de riposter à un « complot politique » fomenté par Washington.
La crise actuelle pousse Ankara, membre de l’OTAN depuis 1952, à se réfugier plus avant dans les bras de la Russie. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, est attendu à Ankara, lundi 13 et mardi 14 août, pour des entretiens avec son homologue turc, Mevlut Çavusoglu. Il y sera notamment question du dossier syrien et du sort de l’enclave rebelle d’Idlib, dernier territoire tenu par des groupes armés d’opposition et djihadistes qui échappe au contrôle de Damas.
Ces derniers jours, des frappes aériennes et terrestres menées par les forces du régime se sont abattues sur ce secteur, faisant des dizaines de morts. Limitrophe de la Turquie, la région risque d’être la cible d’une prochaine offensive du régime syrien, avide de reconquérir l’ensemble de son territoire avec l’aide de ses alliés russe et iranien.
Lignes de fracture
Ankara, qui se pose en protecteur de l’opposition et dispose d’une influence certaine dans la région d’Idlib par l’intermédiaire de groupes armés alliés, ne voit pas d’un bon œil la possibilité d’une attaque de grande ampleur des forces de Bachar Al-Assad. A la mi-juillet, lors d’un entretien par téléphone avec son homologue russe, le président Erdogan a menacé de quitter le processus d’Astana en cas d’offensive sur la province.
Ce dispositif établi avec Moscou et Téhéran a permis de créer des « zones de désescalade » garanties entre les trois puissances entre les divers groupes armés de l’opposition et le régime sur plusieurs lignes de fracture du territoire syrien. Toutes ont été reconquises par Damas et ses alliés depuis le début de l’année, à l’exception d’Idlib, où Ankara possède douze postes militaires qui font office de tampon entre les forces d’opposition et celles du régime syrien.
Le maintien du statu quo dans cette région de 2,5 millions d’habitants est un enjeu majeur pour la Turquie, qui craint plus que tout une nouvelle arrivée de réfugiés. Quelque 3,5 millions de Syriens sont déjà hébergés par la Turquie. Pas question pour Ankara de faire face à de nouveaux afflux de population, d’autant plus que des dizaines de milliers de combattants se trouvent parmi les civils, regroupés à Idlib au fur et à mesure des accords d’évacuation conclus dans les zones rebelles reprises par Damas depuis le début de l’année.
« Retour à la maison »
Recep Tayyip Erdogan est à la merci de Moscou, dont dépend le maintien de sa sphère d’influence dans le nord de la Syrie. Depuis 2016, l’armée turque et ses supplétifs syriens occupent, en effet, une portion de territoire de 90 kilomètres de long située entre les villes d’Azaz et de Djarabulus, conquise lors de l’opération militaire baptisée « Bouclier de l’Euphrate ». Les militaires turcs contrôlent également la région kurde d’Afrin, adjacente à Idlib, qui a été prise aux forces kurdes syriennes au début de 2018 avec l’aval du Kremlin.
« Comme la Turquie ne peut plus compter sur le soutien américain, c’est le moment rêvé pour la Russie de contrer les rebelles à Idlib. Ankara devra se plier au plan russe, en contrepartie du maintien de sa présence au nord d’Idlib, si toutefois Poutine sait se montrer généreux », expliquait Soner Cagaptay, directeur du programme d’études turques au Washington Institute, sur son compte Twitter samedi 11 août.
Les zones conquises par l’armée turque sont vouées à être repeuplées de réfugiés syriens accueillis depuis 2011 en Turquie. Le président Erdogan a ainsi déclaré à plusieurs reprises ces derniers mois que tout serait fait pour faciliter « le retour à la maison de tous nos invités ». Le 2 août, Ankara a annoncé le démantèlement de cinq camps de réfugiés situés dans les régions de Gaziantep, Adiyaman et Mardin, dont le camp de Nizip, visité par la chancelière allemande, Angela Merkel, en avril 2016. Au total, 34 180 personnes vont être sorties de ces camps pour être réinstallées au plus près de la frontière turco-syrienne, à Kilis, au Haray, à Sanliurfa.
Par ailleurs, le sort des réfugiés du conflit syrien est au cœur d’un plan élaboré par Moscou et Ankara pour inciter l’Allemagne et la France à financer la reconstruction de la Syrie, condition de leur retour. La Russie, secouée par une chute du rouble à l’annonce de nouvelles sanctions américaines, n’a pas les moyens de la financer. D’après une source proche du ministère russe des affaires étrangères, Moscou considère que « les puissances occidentales doivent, elles aussi, assumer leur part de responsabilité dans la destruction de la Syrie ».
Gros oeuvre
Dans le plan envisagé à grands traits par MM. Erdogan et Poutine, les entreprises turques du bâtiment, affectées par la crise financière qui secoue le pays, se referaient une santé en se chargeant du gros œuvre, Moscou conduirait la normalisation politique tandis que les Etats européens assumeraient la note.
A cette fin, M. Erdogan a convoqué, le 7 septembre à Istanbul, un sommet sur la Syrie auquel sont censés participer la Russie, l’Allemagne et la France et auquel le président turc entend donner des airs de front anti-Trump. Si Moscou a confirmé, lundi, un sommet à quatre « prévu dans un avenir proche », Berlin et Paris n’ont pas répondu officiellement à l’invitation de M. Erdogan.