Les anciens tweets, source inépuisable de « munitions pour trolls »
Les anciens tweets, source inépuisable de « munitions pour trolls »
Des messages publiés il y a plusieurs années sont de plus en plus fréquemment utilisés pour tenter de discréditer des personnalités publiques.
NICOLAS SIX / QUENTIN HUGON / LE MONDE
Un tweet injurieux – et ironique – de la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, sorti de son contexte. Des messages anciens du réalisateur James Gunn, compilés pour le faire passer pour un pédophile. Des messages écrits par des adolescents depuis devenus des stars du sport ou de la musique, republiés des années après pour tenter de prouver qu’ils sont racistes, homophobes, ou autre… Depuis le début de l’année, il ne se passe pas une semaine sans que d’anciens tweets soient exhumés pour discréditer, de manière plus ou moins honnête, des personnalités publiques.
Chercher des archives compromettantes sur un adversaire politique, ou plus généralement sur une personne que l’on n’aime pas, est un sport aussi vieux que l’écriture. Mais Twitter a plusieurs spécificités qui rendent l’exercice particulièrement aisé. D’abord, parce que le réseau social dispose d’un outil de recherche efficace et simple d’emploi, qui permet de retrouver en quelques secondes tous les messages publiés par une personne autour d’un mot précis.
Mais aussi et surtout, Twitter est un réseau de l’instantanéité : on y commente, à chaud, l’actualité, on y réagit de manière instinctive, et le fonctionnement même du réseau y donne une « prime » aux messages qui choquent et font réagir. Ces mêmes messages, parfois cohérents dans le contexte dans lequel ils sont publiés, peuvent être choquants, des années plus tard, lorsqu’ils sont isolés.
Par ailleurs, un grand nombre des messages exhumés ces derniers mois ne sont pas des tweets classiques, mais plutôt des réponses faites à d’autres utilisateurs. Peu visibles d’ordinaire sur le réseau – une discussion entre deux utilisateurs n’apparaît dans les flux des autres utilisateurs que s’ils suivent tous les participants à la discussion – certains de ces messages étaient passés totalement inaperçus avant d’être retrouvés et mis en avant par des militants.
Une arme politique
L’utilisation de vieux messages Twitter pour discréditer des adversaires politiques fait aujourd’hui partie de la panoplie classique des outils de l’extrême droite américaine, et notamment du polémiste Mike Cernovich, soutien revendiqué de Donald Trump qui déteste pêle-mêle les musulmans, les journalistes et les militants de gauche.
Ces derniers mois, il a largement diffusé à plusieurs reprises des tweets anciens de journalistes et de personnalités pour tenter de prouver leur racisme ou, son attaque favorite, leur supposée pédophilie. Comme le résume un utilisateur du forum 4chan se revendiquant de l’« alt-right » cité par Slate :
« S’ils peuvent avoir la peau de quelqu’un parce qu’il fait des blagues racistes, on aura leur peau parce qu’ils font des blagues sur la pédophilie. »
C’est Mike Cernovich qui a, le premier, compilé d’anciens messages du réalisateur James Gunn dans lesquels il faisait des plaisanteries sur le viol d’enfants – campagne couronnée de succès, puisque Disney a licencié le réalisateur, qui travaillait sur le prochain épisode de la saga Les Gardiens de la galaxie. Ironiquement, Mike Cernovich, habitué des théories du complot, avait lui-même supprimé des tweets dans lesquels il niait l’existence du viol sans violences physiques. « Vous avez déjà essayé de “violer” une fille sans utiliser de force physique ? Essayez, c’est littéralement impossible », écrivait-il notamment.
Populaire auprès des militants de l’alt-right américaine, la fouille dans les anciens messages Twitter ne leur est pas réservée. La technique a également été largement utilisée par les militants progressistes et les journalistes, qui ont notamment mis en lumière cette année plusieurs messages racistes ou homophobes de joueurs de baseball aux Etats-Unis. En l’espace de six mois, le New York Times a fait face à deux polémiques distinctes, des deux côtés de l’échiquier politique, après le recrutement deux journalistes spécialisées dans les nouvelles technologies à son conseil éditorial. En février, l’embauche de Quinn Norton avait été vivement critiquée, après la publication d’anciens messages de soutien de la journaliste à une personnalité néonazie – Quinn Norton n’a finalement pas rejoint le quotidien. En août, l’embauche au même poste de la journaliste Sarah Jeong avait été l’objet d’une controverse inverse, après que des militants de l’alt-right ont exhumé d’anciens tweets agressifs, dirigés notamment contre les « vieux hommes blancs ». Mme Jeong a présenté ses excuses, et le New York Times a maintenu son embauche.
La pratique est également très loin d’être spécifique à l’Amérique : en France, plusieurs personnalités de la politique ou de la culture, dont la chanteuse Mennel, le rappeur Médine ou la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, en ont également fait les frais.
Suppression des archives
En réaction à ce phénomène, de plus en plus de personnalités prennent des mesures préventives. Rian Johnson, réalisateur du très discuté huitième épisode de Star Wars, a effacé environ 20 000 tweets de son compte après le renvoi de James Gunn par Disney. Des journalistes comme Glenn Greenwald (The Intercept) sont eux aussi allés faire le ménage dans leurs vieux messages. Mais cette démarche est à double tranchant. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir fleurir des allégations sur ces tweets disparus.
« Je ne crois pas avoir jamais tweeté quelque chose de très mauvais. Mais c’était neuf années de messages écrits au débotté, dans “l’éphéméréalité”, et si la nouvelle normalité c’est que des trolls s’en servent de munitions, je me suis dit pourquoi ne pas les effacer », écrivait ainsi Rian Johnson, en réponse à un message du site féministe The Mary Sue sous-entendant qu’il avait des choses à cacher.
« A un moment, Internet était drôle. Il faut tourner cette page », estime la journaliste Abby Ohlheiser du Washington Post, dans un article qui incite ses lecteurs à supprimer leurs vieux messages. Aux Etats-Unis, les journalistes sont parmi les premiers à avoir commencé à supprimer leurs archives de tweets. « Supprimer vos vieux tweets pourrait bien sauver votre emploi », recommande le site spécialisé Poynter :
« Twitter a été conçu pour être éphémère, et il est devenu une archive des moments où nous sommes le plus stupides. »
Reste que l’exhumation d’anciens messages est aussi parfois utilisée de manière beaucoup plus légère. Des propos adolescents du footballeur Ousmane Dembélé aux premiers pas hésitants de certains politiques sur Twitter à l’époque où le réseau était moins fréquenté, les internautes prennent un malin plaisir à se moquer gentiment des concernés quand ils font l’actualité. Pendant la campagne présidentielle, la trivialité de certains tweets de Benoît Hamon, datant pour certains de 2008, était ainsi devenue une plaisanterie récurrente – et assez innocente – sur le réseau social.