La sélection cinéma du « Monde »
La sélection cinéma du « Monde »
Chaque mercredi, dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
LES CHOIX DE LA MATINALE
Le menu de cette semaine cinématographique vous entraîne, au choix, dans le maelström de fantasmes et d’obsessions des trois courts-métrages réunis en salle sous le titre Ultra rêve ; sur les routes de Camargue avec Il se passe quelque chose, d’Anne Alix ; dans une petite ville du sud des Etats-Unis en proie aux vieux démons du racisme, avec la reprise de The Intruder (1962), de Roger Corman ; à la découverte des peuples des Congo(s) au programme du 41e Festival de cinéma de Douarnenez (Finistère), du 17 au 25 août.
« Ultra rêve » : courts-métrages, longs fantasmes
ULTRA RÊVE Bande Annonce (2018)
Durée : 01:29
Si les courts-métrages ont déserté depuis longtemps les avant-programmes des séances ordinaires, certains arrivent encore en salle appariés selon la bonne vieille formule du « film à sketches ». Ultra rêve est de ceux-là et en abrite trois – After School Knife Fight, de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, Les Iles, de Yann Gonzalez, et Ultra pulpe, de Bertrand Mandico –, qui affichent une remarquable cohérence de forme et d’esprit. Leur réunion entérine l’existence d’une jeune scène hédoniste, romantique, subversive et formaliste, en somme d’obédience résolument antinaturaliste, dans le paysage du cinéma français.
Les deux premiers films du programme sont des pastilles d’une vingtaine de minutes qui soufflent très habilement le chaud et le froid, sentimental et sexuel. La pièce de résistance est servie avec Ultra pulpe, de Bertrand Mandico. Lors d’une fin de tournage aux allures de fin du monde, la réalisatrice Joy d’Amato (Elina Löwensohn) cherche à retenir son actrice Apocalypse (Pauline Jacquard), qui ne l’aime plus, en lui racontant l’histoire de son prochain film. Mais ce récit s’emberlificote en un grand maelström de fantasmes et d’obsessions, quelque part entre la bande horrifique et le porno déviant, qui concentrerait en lui toute la part maudite, crapoteuse et jouissive du cinéma. Mathieu Macheret
Programme de trois courts-métrages français par Caroline Poggi et Jonathan Vinel ; Yann Gonzalez ; Bertrand Mandico. Avec Marylou Mayniel, Lucas Doméjean ; Sarah-Megan Allouch, Thomas Ducasse ; Elina Löwensohn, Vimala Pons, Lola Créton (1 h 24).
« Il se passe quelque chose » : deux femmes en roue libre
IL SE PASSE QUELQUE CHOSE Bande Annonce (2018) Film Français
Durée : 02:04
Le film surprend d’emblée en s’ouvrant sur une séance de spiritisme détachée du reste de l’histoire. Une équipe de chasseurs de fantômes scrute les recoins d’une maison, claquemurée dans l’attente d’une manifestation paranormale. La scène vaut comme exergue et métaphore du film : Anne Alix, en lâchant ses deux comédiennes dans la nature d’un road-movie camarguais, ne fera elle-même pas autre chose que guetter toutes sortes d’apparitions, d’un ordre beaucoup moins surnaturel.
Dolores (Lola Dueñas) sillonne la Provence pour boucler une commande de son éditeur, à savoir l’écriture d’un guide touristique gay friendly. Sur son chemin, elle croise une femme qui se jette à l’eau depuis le pont d’Avignon. Elle s’appelle Irma (Bojena Horackova) et a perdu goût à la vie depuis la mort de son mari, survenue un an plus tôt.
Dolores l’embarque dans sa décapotable et l’entraîne avec elle sur les routes de Camargue, entre Port-Saint-Louis-du-Rhône et Miramas. Les motifs picaresques de la déambulation et de la rencontre, ici privilégiés, insufflent au film le cours aventureux et imprévisible d’une expérience in vivo. Ma. Mt.
« Il se passe quelque chose », film français d’Anne Alix. Avec Lola Dueñas et Bojena Horackova (1 h 41).
« The Intruder » : quand Corman filmait la pulsion raciste
The Intruder (1962) trailer
Durée : 02:07
Dans la filmographie de Roger Corman, The Intruder occupe une place à part. Corman réalise et produit des films relevant du « cinéma d’exploitation ». Soit une économie fondée sur la production de films très fauchés, destinés notamment aux drive-in, en pleine expansion.
Le succès des premiers titres (La Chute de la maison Usher, 1960, La Chambre des tortures, 1961) le convainc de réaliser un projet personnel. Ce sera The Intruder, tourné en 1962, dont le personnage principal encourage les habitants d’une petite ville du Sud à s’opposer à l’intégration.
The Intruder vaut par le portrait d’un personnage à la fois luciférien et pulsionnel, intensément incarné par William Shatner (le futur commandant de l’Enterprise dans la série Star Trek), et par une manière assez subtile de désigner le racisme comme un affect qui n’est pas perçu comme extraordinaire mais dont l’existence même semble absolument naturelle à qui l’éprouve. La plupart des citoyens racistes ne sont pas ici des monstres dont l’horreur serait soulignée par des effets dramatiques mais de très ordinaires individus.
L’échec commercial du film dissuada Roger Corman, qui retourna à ses monstres de carton-pâte, de persévérer dans la voie d’un cinéma plus personnel. On peut le regretter. Jean-François Rauger
« The Intruder », film américain de Roger Corman. Avec William Shatner, Beverley Lunsford, Charles Barnes (1 h 22).
Les Congos au Festival de Douarnenez : rumba en Armor
Comment faire couler le fleuve Congo entre les rives du port de Douarnenez (Finistère) ? Les organisateurs de cette manifestation qui, chaque année, explore dans ses moindres recoins un territoire cinématographique méconnu, prennent le risque de voir la cité bretonne inondée par les eaux du Pool Malebo, anciennement Stanley Pool.
A lire leur programme pantagruélique, qui va du Damier - Papa national Oyé !, brillant court-métrage anti-Mobutu réalisé par Balufu Bakupa-Kanyinda en 1996, aux documentaires acérés de Dieudo Hamadi (Examen d’Etat, Maman Colonelle), en passant par le gigantesque travail documentaire abattu par Thierry Michel (Mobutu, roi du Zaïre et Katanga Business) ou Viva Riva !, le polar incandescent réalisé par Djo Tunda wa Munga, on se sent comme pris dans la foule de Kinshasa. Si bien qu’un aller pour Douarnenez vaut presque un visa pour la capitale de la République démocratique du Congo, tout en étant plus facile à obtenir. Thomas Sotinel
41e Festival de cinéma de Douarnenez : Peuples des Congo(s), du 17 au 25 août.