La FIFA exfiltre Marco Villiger, gardien de tous les secrets de Sepp Blatter
La FIFA exfiltre Marco Villiger, gardien de tous les secrets de Sepp Blatter
Par Rémi Dupré
Le départ de l’indéboulonnable directeur juridique et secrétaire général adjoint de la FIFA scelle la fin de l’ère Blatter.
Lundi 20 août, la FIFA a officialisé le départ du Suisse Marco Villiger, 42 ans, indéboulonnable directeur juridique de l’instance depuis 2007 et secrétaire général adjoint depuis septembre 2015. / Arnd Wiegmann / REUTERS
L’annonce est passée totalement inaperçue. Elle constitue pourtant l’ultime épisode du feuilleton du « FIFAgate », cette enquête sur des soupçons de corruption visant la Fédération internationale de football. Lundi 20 août, la FIFA a officialisé le départ du Suisse Marco Villiger, 42 ans, indéboulonnable directeur juridique de l’instance depuis 2007 et secrétaire général adjoint depuis septembre 2015. « Il est temps pour moi d’ouvrir un nouveau chapitre et de chercher de nouveaux défis », a sobrement commenté le juriste. « Il a été un pilier de l’organisation », a déclaré la Sénégalaise Fatma Samoura, secrétaire générale de la FIFA.
Ce départ par « accord mutuel » aux allures d’exfiltration, acté par le président de la Fédération, Gianni Infantino, est loin d’être anecdotique dans la mesure où M. Villiger était le dernier rescapé de l’administration de Sepp Blatter, l’ex-numéro un (1998-2015) de l’organisation, suspendu durant six ans. Gardien de tous les secrets de son ancien patron, dont il était devenu l’avocat officieux pendant plusieurs années, le quadragénaire avait, lui, survécu à la tornade judiciaire initiée le 29 mai 2015 par les autorités américaines.
A la suite du fameux coup de filet anticorruption réalisé à l’hôtel Baur au Lac, à Zurich, M. Villiger était devenu le principal interlocuteur des justices américaine et suisse, chargé de faire la lumière en interne sur la litanie d’affaires de corruption qui ont miné la FIFA. Avec l’aide du cabinet d’avocats californien Quinn Emanuel, il avait récolté de nombreux documents et preuves et s’est activé pour que la Fédération internationale obtienne un statut de « victime » lors des procès en cours à New York.
« Il a protégé Blatter et tout le système pendant des années »
Etrange parcours que celui de Marco Villiger, dépeint par certaines sources comme un habile homme de l’ombre, un « caméléon » soucieux de vider les armoires pour sauver sa peau. « Il a très bien appris comment jouer sa partie auprès de Blatter, confie l’un de ses anciens proches collaborateurs. Il savait tout, a tout vu. Il était au courant de tout, était impliqué dans tout. Il a protégé Blatter et tout le système pendant des années. Et il a fait la même chose avec le système Infantino. Il sait comment jouer avec les marionnettes. »
Coordinateur des travaux dudit comité d’éthique « indépendant » de la FIFA, dont il assurait le secrétariat, il a également été à la manœuvre lors de la chute des principaux acteurs de l’ère Blatter. « Il a fourni des preuves contre Blatter, contre Jérôme Valcke (l’ex-secrétaire général de la FIFA, suspendu durant dix ans), contre Markus Kattner (l’ex-directeur financier, limogé en juin 2016), note un proche du « tribunal » interne de la Fédération. Il connaissait les avancées des enquêtes du comité d’éthique et a échangé des informations relatives aux travaux du comité d’éthique avec l’administration. »
M. Villiger était d’ailleurs l’un des seuls à avoir accès au rapport d’enquête réalisé par l’ex-procureur américain Michael Garcia sur les conditions d’attribution des Mondiaux 2018 et 2022, respectivement à la Russie et au Qatar. Ledit rapport a pourtant été lu par plusieurs hauts dirigeants, comme Sepp Blatter et Jérôme Valcke, avant de tomber, en juin 2017, dans les mains des journalistes du quotidien allemand Bild, et d’être divulgué dans son intégralité par la FIFA.
L’affaire Platini
Selon plusieurs sources internes comme externes à la FIFA, M. Villiger est directement à l’origine de la chute de Michel Platini, ex-patron de l’Union des associations européennes de football (UEFA). Alors candidat à la présidence de l’instance mondiale, il avait été suspendu quatre ans à la suite de la fameuse affaire du paiement de deux millions de francs suisses (1,8 million d’euros) effectué par M. Blatter en 2011.
Pour ces personnes, seul le zélé juriste était en mesure de faire fuiter au parquet suisse, en septembre 2015, l’information relative à ce versement. Une dénonciation qui a amené le ministère public de la Confédération helvétique (MPC) à ouvrir une procédure pénale à l’encontre de Sepp Blatter et à auditionner Michel Platini en tant que « personne appelée à donner des renseignements », l’équivalent du statut de témoin assisté. Cette initiative du MPC a poussé le comité d’éthique à se saisir du cas et à bannir les deux dirigeants.
Dans son dernier livre (Ma vérité, Héloïse d’Ormesson), l’ex-président de la FIFA accuse d’ailleurs Marco Villiger d’avoir révélé ce paiement à la justice suisse et de l’avoir conseillé de remettre son mandat à disposition, le 2 juin 2015, après le coup de filet au Baur au Lac. De son côté, le juriste a toujours nié, précisant n’avoir jamais eu connaissance du paiement des deux millions. Une version qui fait rire ses anciens collègues.
« Bien sûr qu’il était au courant de ce paiement, il m’a même fait une remarque un jour à ce sujet. Villiger, c’est l’Evangile selon saint Jean. Comment quelqu’un qui se disait mon avocat peut-il dire aujourd’hui qu’il n’était au courant de rien ? », confiait récemment au Monde M. Blatter, soupçonné par plusieurs sources d’avoir demandé à son juriste de faire fuiter l’information pour torpiller la candidature de M. Platini à sa succession.
En avril, le patronyme de Villiger est remonté à la surface, après le dépôt d’une plainte pour conflit d’intérêts auprès du comité d’éthique contre Fatma Samoura dans le cadre de la campagne pour l’attribution du Mondial 2026. Selon la BBC, un prétendu lien de parenté entre Mme Samoura et l’ex-joueur sénégalais El-Hadji Diouf, ambassadeur de la candidature du Maroc, a été découvert par les membres du groupe de travail en charge de l’évaluation des dossiers de candidatures. M. Villiger en était l’un des principaux responsables.
« C’est un complot digne des barbouzes », soufflait alors au Monde un fin observateur de la FIFA. Le comité d’éthique avait, finalement, décidé de ne pas poursuivre la secrétaire générale de l’organisation.
Alors que son départ était pressenti avant la Coupe du monde en Russie, le sulfureux Marco Villiger devrait être remplacé par l’Ecossais Alasdair Bell, le directeur juridique de l’UEFA, réputé très proche de Gianni Infantino.
FIFA : comprendre le « système Blatter » en cinq minutes
Durée : 04:57