Ryanair démine en partie son conflit social
Ryanair démine en partie son conflit social
Par Eric Albert (Londres, correspondance)
La compagnie aérienne à bas coûts et le syndicat irlandais des pilotes ont trouvé un accord.
Des pilotes Ryanair en grève à l’aéroport de Charleroi, à Gosselies (Belgique), le 10 août. / JOHN THYS / AFP
Il aura fallu une négociation marathon, qui s’est achevée jeudi 23 août à 7 heures, mais le conflit social à Ryanair est peut-être sur le point d’être en partie réglé. La première compagnie aérienne d’Europe et le syndicat des pilotes irlandais Forsa ont ainsi trouvé un accord sur les conditions de travail.
Pour l’heure, celui-ci reste fragile. Forsa doit le faire approuver par les pilotes lors d’un scrutin interne qui va prendre deux semaines à organiser. En attendant, à la demande du médiateur, ses détails demeurent secrets.
De plus, l’entente ne concerne que les pilotes irlandais et ne résout pas le contentieux en cours dans plusieurs autres pays. Il s’agit cependant d’une première pour Ryanair. Jamais, depuis sa création en 1985, la compagnie à bas coûts n’avait passé une convention collective. Jusqu’en décembre 2017, elle se refusait même à reconnaître le moindre syndicat.
Ryanair est agitée depuis l’an dernier par des tensions sociales grandissantes, dont la première manifestation a été l’annulation de milliers de vols à l’automne 2017, à la suite d’une mauvaise gestion des vacances des pilotes. En décembre, les pilotes allemands ont été les premiers de l’histoire de la compagnie à faire grève. Cet été, une série de débrayages en Europe (Irlande, Allemagne, Pays-Bas, Suède et Belgique) a fortement perturbé l’entreprise.
Selon les calculs d’AirHelp (une société spécialisée dans l’aide au recouvrement des compensations pour les passagers), que Le Monde a obtenus, Ryanair doit 78 millions d’euros d’indemnisations pour les grèves de juillet et août. Au total, 270 000 passagers ont été touchés pendant les douze jours d’arrêt de travail de cette période.
Etrange fonctionnement interne
Ce genre de compensation ne semble d’ailleurs pas dans les gènes de la compagnie. Le mois dernier, elle a tenté de faire valoir que la grève était une « circonstance exceptionnelle » et qu’elle n’avait pas à dédommager les passagers, ce qui est contraire aux règles européennes. Elle a aussi envoyé plusieurs dizaines de chèques qui ont été refusés par les banques car ils n’avaient pas été signés.
L’épreuve de force sociale a mis en exergue l’étrange fonctionnement interne de Ryanair. En effet, la plupart des pilotes ne travaillent pas directement pour l’entreprise, mais pour des agences sous-traitantes, voire en tant qu’autoentrepreneurs. Pour de nombreux pilotes établis dans le reste de l’Europe, les contrats relèvent du droit irlandais. Ces personnels revendiquent des contrats locaux, ce qui, pour l’instant, n’a pas été accepté.
Du côté des pilotes irlandais, la colère concernait l’assignation à une base. Bien que vivant en Irlande, ils peuvent aujourd’hui, presque sans préavis, être placés pour quelques jours dans une base ailleurs en Europe – Berlin ou Milan, par exemple. Cette pratique n’est pas exceptionnelle dans l’aviation, mais les critères d’assignation ne sont pas transparents et les décisions, effectuées à la dernière minute.
Les discussions entre le syndicat Forsa et la direction de l’entreprise ont été houleuses. « Ryanair n’avait jamais discuté avec les syndicats et la défiance était profonde », expliquait, début août, Bernard Harbor, de Forsa. Le PDG de la compagnie, Michael O’Leary, n’a jamais dissimulé son aversion pour les négociations sociales. En juillet, son instinct a repris le dessus, quand il a menacé de délocaliser en Pologne les emplois des grévistes irlandais. Son seul langage : les salaires. Il fait remarquer que les pilotes gagnent en moyenne 150 000 euros par an.
Si cet accord se confirmait, Ryanair ferait un pas de plus vers une certaine normalisation. En évitant pendant longtemps les grèves qui secouaient ses concurrents, la compagnie a pu mettre en place un modèle social parallèle qui lui a permis de gagner des parts de marché. Cette ère touche à sa fin.