« La démission de Hulot prouve que la politique n’arrive pas à traiter les questions écologiques »
« La démission de Hulot prouve que la politique n’arrive pas à traiter les questions écologiques »
Propos recueillis par Faustine Vincent
Daniel Boy, directeur de recherche émérite au Cevipof et spécialiste de l’écologie politique, analyse la place de l’environnement dans la sphère politique.
Nicolas Hulot annonce sa démission du gouvernement
Durée : 00:55
La démission de Nicolas Hulot du ministère de la transition écologique et solidaire, mardi 28 août, vient rappeler la difficulté à imposer l’écologie dans l’agenda politique. « Je me surprends tous les jours à me résigner, à m’accommoder des petits pas, alors que la situation universelle, au moment où la planète devient une étuve, mérite qu’on se retrouve et qu’on change d’échelle, qu’on change de scope, qu’on change de paradigme », a déploré M. Hulot dans la Matinale de France Inter, avant d’annoncer brusquement son départ.
Daniel Boy, directeur de recherche émérite au Cevipof, spécialiste de l’écologie politique, explique en quoi cette démission constitue « le point d’orgue de ce que [Nicolas Hulot] a été en tant que défenseur de la cause environnementale », et pourquoi les défis liés au réchauffement climatique peinent à s’inscrire dans l’action des gouvernements successifs.
Comment analysez-vous la démission de Nicolas Hulot ?
Elle prouve, une fois de plus, que la politique n’arrive pas à traiter les questions écologiques. La décision de le nommer était un coup politique habile car il avait une stature d’écologiste convaincante, une grande aura médiatique, et il avait toujours refusé d’intégrer un gouvernement jusqu’ici, à droite comme à gauche. Mais c’était aussi un risque considérable, car Nicolas Hulot, qui n’est pas un homme politique classique, avait prévenu dès le départ qu’il ne resterait pas au gouvernement s’il n’obtenait pas de bons résultats. Aucun autre ministre de l’environnement n’avait posé de telles conditions.
Or le gouvernement actuel ne mène qu’une politique de « petits pas » sur l’environnement, comme Nicolas Hulot l’a expliqué. Le ministre a obtenu quelques petites avancées sur le glyphosate et sur Notre-Dame-des-Landes [le projet d’aéroport a été abandonné], mais ce n’est rien par rapport à l’immensité des problèmes, et cela n’a pas suffi à le convaincre de rester au gouvernement. Sa démission, logique, constitue le point d’orgue de ce qu’il a été en tant que défenseur de la cause environnementale. Elle va sans doute le propulser dans les sondages.
Pourquoi est-ce si difficile de porter l’écologie au sein d’un gouvernement ?
Il y a plusieurs facteurs. D’abord, un écologiste au sein d’un gouvernement n’a pas d’allié. Il défend cette cause tout seul, alors que le problème est planétaire et que la défense de l’environnement devrait insuffler l’ensemble de l’action gouvernementale. Pour les autres ministres, c’est un problème comme un autre, qui suscite l’indifférence voire l’adversité – on l’a vu avec le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert.
Le poids des lobbys compte également : la plupart d’entre eux – agriculture, industrie chimique, chasseurs, etc. – sont contre le ministre de l’environnement. D’autres problèmes, comme la croissance et le chômage, sont considérés comme incompatibles avec la mise en œuvre d’une politique environnementale. Les écologistes assurent que les deux peuvent aller de pair, mais ils n’ont pas encore réussi à convaincre les politiques que c’est le cas.
L’aspect court-termiste des politiques publiques, qui s’inscrivent dans une perspective électorale, entre aussi en compte. Le gouvernement a cinq ans pour agir. Or une action publique contre le réchauffement climatique montrera ses effets dans cinquante ans. Les électeurs pourront louer une telle action, mais préféreront les effets à court terme. C’est un combat extrêmement compliqué.
Les partis politiques ont-ils intégré les problématiques écologiques, au fil du temps ?
Ils parlent vaguement d’écologie depuis trente ans, mais jusqu’à présent aucun parti politique, ni de droite ni de gauche, n’a intégré le problème du réchauffement climatique. A droite, il est minoré. [L’ex-premier ministre] François Fillon ne disait rien sur le sujet, et le président des Républicains, Laurent Wauquiez, affirme qu’il ne veut pas d’écologie politique. A gauche, le Parti socialiste sous-traite le problème aux Verts depuis des années, et le Parti communiste français s’en est longtemps totalement désintéressé.
Jean-Luc Mélenchon est l’un des seuls qui semble prendre cet aspect en compte dans son programme. Mais il défend une écologie radicale n’ayant plus rien à voir avec le développement durable, qui consiste à trouver des accords avec les entreprises. Cela convient à une partie des écologistes, mais pas tous.
Quant à l’écologie politique, c’est-à-dire les Verts, ils sont aujourd’hui dans une position très réduite. Ils ont un handicap majeur : ils peuvent s’exprimer dans une élection quand le mode de scrutin les favorise – comme aux européennes où le mode de scrutin est proportionnel, ce qui les dispense de chercher un allié –, mais pour émerger au niveau national, que ce soit à l’élection présidentielle ou aux législatives, ils ne peuvent avoir un score important qu’en nouant un accord avec le PS.
Les écologistes sont-ils condamnés à n’être qu’une simple « caution » au sein des gouvernements successifs ?
Un gouvernement a besoin des écolos à un moment, mais après quelque temps, ça explose, ou bien on n’en a plus besoin, comme l’avait signifié Nicolas Sarkozy en déclarant au Salon de l’agriculture [en 2011] que « l’environnement, ça commence à bien faire ». Ou encore les écologistes s’en vont, comme ce fut le cas [en 2014] lors du départ de Cécile Duflot [alors ministre du logement] du gouvernement de Manuel Valls, qu’elle jugeait trop à droite.
On revient toujours au problème initial : comment l’écologie peut-elle passer en politique, avoir des résultats et infléchir les politiques publiques ?