« Tokyo Girls. Les pop girls du Japon » : obsession et perversité à la japonaise
« Tokyo Girls. Les pop girls du Japon » : obsession et perversité à la japonaise
Par Mustapha Kessous
De jeunes chanteuses sont adulées par des hommes plus âgés qui voient en elles une façon d’oublier leur quotidien.
La chanteuse Rio lors d’un concert. / BRAKELESS LIMITED / EYESTEELFILM CLASSICS INC.
Elle n’a pas 20 ans et désire devenir une artiste mondialement connue. Son nom de scène ? Rio. Depuis l’adolescence, Rio Hiiragi chante sur scène et sur la Toile revêtue d’un costume de soubrette ou d’un uniforme de lycéenne, telle une héroïne ultra-sexy de manga.
Au Japon, on appelle ces jeunes filles des idols et elles sont adulées jusqu’à en perdre la raison notamment par un public d’hommes plus âgés. C’est le cas de Koji, 43 ans, qui vénère ces « pop girls », particulièrement Rio.
Avant de connaître sa starlette préférée, ce quadra avait perdu le goût pour la vie. Quand il parle de lui et de ses rêves, son visage s’assombrit. Plus jeune, il pensait devenir enseignant : il est revendeur de produits électroniques et se voit comme le dernier des ratés. Il n’a pas de petite amie et préfère rester seul depuis que sa dernière rupture amoureuse lui a brisé le cœur. Mais quand il évoque Rio, il sourit comme un petit enfant.
Pallier leur frustration sexuelle
Tous les jours, il se rend à son concert. Il a posé avec elle sur des dizaines et des dizaines de photos et suit sa chanteuse à la trace partout sur l’Archipel. « Elle est comme un miroir, un miroir de luxe. Je la regarde et je me compare à elle », explique-t-il.
« Dans leur vie de tous les jours, ces fans n’ont sans doute rien qui les fait vibrer, mais quand ils vont voir leurs idoles sur scène, ils ont l’impression de se battre à leur côté », souligne Hyadain, producteur de musique. « Je prends beaucoup de plaisir à distraire le public, assure Rio. Je considère les fans comme mes enfants. Je les aime tous. Ils sont plus importants que tout. »
Alors pour les remercier, après chaque représentation, elle organise, comme beaucoup d’idoles, des « rencontres poignée de main ». Pendant une minute (pas une seconde de plus), un admirateur peut serrer la main de l’artiste et prendre un cliché avec elle. Jadis, ce geste avait une connotation sexuelle dans la culture japonaise. « Ce contact est normalement interdit par les mœurs, explique Masayoshi Sakai, analyste économique. L’artiste n’est pas censée avoir une conscience sexuelle, mais celui qui lui serre la main peut en tirer une certaine satisfaction physique. C’est un compromis légal. »
Tokyo Girls. Les pop girls du Japon raconte le quotidien de ces vedettes et de leurs fans. Ce documentaire, aux images soignées, décrypte les liens pervers qui les unissent et montre à quel point une partie de la société japonaise a sombré dans une profonde dépression. Pour ces hommes, admirer ces jeunes filles est une manière de rompre avec la monotonie de leur existence et de pallier leur frustration sexuelle.
« Forme d’apaisement »
« Les fans ont l’impression de régresser à l’âge mental des idoles : plus on est jeune, plus on s’amuse. Ils se retrouvent dans un état d’innocence, de pureté et de liberté. C’est probablement cette forme d’apaisement que ces hommes recherchent dans le contact avec ces filles », souligne Itanu Tsurami, spécialiste de cette culture.
De plus en plus de jeunes filles (dès l’âge de 10 ans !) font partie de groupes d’idoles, au grand dam des féministes. « Ces hommes préfèrent ces filles aux femmes de leur entourage. Ils ont l’impression de les dominer, qu’elles ne les laisseront jamais, soupire la journaliste Minori Kitahara. La société japonaise fait tout pour faire perdurer ce fantasme masculin. »
« Tokyo Girls. Les pop girls du Japon », de Kyoko Miyake (Allemagne, 2016, 53 min).