« The Deuce » au temps du porno florissant
« The Deuce » au temps du porno florissant
Par Renaud Machart
La deuxième saison de la série de David Simon et George Pelecanos poursuit sa reconstitution de la 42e Rue, à New York, dans les années 1970.
Maggie Gyllenhaal est Eileen Merrell, prostituée décidée à prendre sa vie en main. / PAUL SCHIRALDI
Cinq ans ont passé sur la « Deuce », ou « Forty-Deuce », cette 42e Rue qui, au tournant des années 1970, était l’épicentre du stupre new-yorkais – prostitution, pornographie, drogue – dans le cadre décati au possible, excitant mais dangereux, de la ville à l’époque.
Avant de passer la main, en 1978, à Ed Koch (qu’on aperçoit brièvement sur les images d’archives couturées qui constituent le générique de début), Abraham D. Beame, le maire de New York depuis 1974, aura tenté d’éviter la faillite municipale en laissant la porte ouverte aux investisseurs plus ou moins vertueux, décidés à profiter de la situation.
Son successeur devra tenter de nettoyer la ville, en particulier le quartier de Times Square, bordé au sud par la 42e Rue, afin d’y faire venir les touristes. Mais il faut composer avec la Mafia, qui contrôle beaucoup des établissements interlopes du quartier, et la police municipale, qui sait vain cet espoir assainissant.
Du trottoir à la réalisation
Entre-temps, la pornographie s’est considérablement développée. Les longs-métrages « X » ont, depuis 1971, littéralement pignon sur rue ainsi que leur cérémonie de récompenses à Los Angeles, où l’on retrouve Eileen (Maggie Gyllenhaal), passée du trottoir à la réalisation, qui tente de porter un regard nouveau sur ce genre.
Désormais, à la station de bus terminale de New York, ce ne sont plus des jeunes filles naïves que viennent lever leurs futurs macs afro-américains, mais des actrices venues à leur premier casting porno : elles cherchent un agent, pas un souteneur. L’époque change au point que les macs eux-mêmes vont tenter de faire valoir à l’écran leurs avantages anatomiques.
« Tu n’es pas du bon côté de l’Oreo » [un biscuit à la vanille et au chocolat] », dit à une jeune actrice noire un réalisateur à qui celle-ci réclame d’être autant payée qu’une collègue blanche : il faudra en effet du temps avant que la mixité raciale soit acceptée dans l’industrie (le porno gay ayant à cet égard été précurseur).
Nous n’avons pu voir que les quatre premiers épisodes de la saison 2 de The Deuce, série créée en 2017 par l’ancien journaliste David Simon, à l’origine de The Wire (« Sur écoute », 2002-2008), et l’auteur de polars George Pelecanos (qui avait également collaboré à The Wire), qu’OCS City diffuse en France à partir du 10 septembre, vingt-quatre heures après HBO aux Etats-Unis.
Une distribution convaincante
On retrouve l’extraordinaire évocation du quartier dont les trottoirs jonchés de détritus, les vitrines de sex-shops, les marquises illuminées de salles de cinéma, les dîners enfumés aux sièges de moleskine poisseuse ont l’air d’être restitués dans leur jus seventies plus vrai que nature.
Maggie Gyllenhaal, qui incarne avec la même élégance un peu lasse le personnage aristocratique de Nessa Stein dans The Honourable Woman (2014), mini-série de Hugo Blick, et Eileen Merrell, prostituée décidée à prendre sa vie en main, dans The Deuce, est absolument extraordinaire dans son jeu à l’émollience savamment contrôlée.
James Franco, qui interprète les rôles des frères jumeaux, parvient à ne pas en faire un « numéro d’acteur » et réussit cette double incarnation au point qu’on finit par oublier qu’il n’en est que le seul et même interprète. La distribution alentour est au même diapason, haute en couleur mais toujours convaincante.
« The Deuce », saison 2, série créée par David Simon et George Pelecanos. Avec Maggie Gyllenhaal, James Franco, Margarita Levieva, Emily Meade, Gary Carr, Lawrence Gilliard, Jr., Gbenga Akinnagbe, Michael Rispoli (US., 2018, 9 x 60 min.).