Après des années de lutte, les Marocaines enfin défendues par une loi
Après des années de lutte, les Marocaines enfin défendues par une loi
Par Charlotte Bozonnet, Ghalia Kadiri
Le texte, qui entend lutter contre les violences faites aux femmes et les mariages forcés, conserve d’importantes lacunes aux yeux des militantes.
Des Marocaines manifestent pour l’égalité hommes-femmes à Rabat, en mars 2015. / FADEL SENNA / AFP
C’est une première, attendue depuis de longues années par les associations de défense des droits des femmes au Maroc. Mercredi 12 septembre entre en vigueur la loi contre les violences faites aux femmes. Le texte, initié en 2013 et amendé à plusieurs reprises, avait été définitivement adopté en deuxième lecture le 14 février. « Même si cette loi ne reflète pas l’ensemble de notre vision pour une véritable défense des femmes, c’est un événement », reconnaît l’avocate Khadija Rouggany, présidente de l’Association marocaine pour les droits des femmes.
La loi marocaine incrimine désormais « certains actes considérés comme des formes de harcèlement, d’agression, d’exploitation sexuelle ou de mauvais traitement ». Elle prévoit des mesures de lutte contre le harcèlement dans les lieux publics, notamment des peines allant d’un à six mois d’emprisonnement ou une amende de 2 000 à 10 000 dirhams (de 181 à 907 euros). Des mesures qui s’appliquent non seulement au harcèlement de rue, mais aussi aux propos à caractère sexuel tenus ou envoyés par SMS, messages vocaux ou même à travers des photos.
Le mariage forcé est également passible d’une peine de prison allant d’un à six mois ou d’une amende allant de 10 000 à 30 000 dirhams, les deux peines pouvant se cumuler. La loi prévoit des « mécanismes pour prendre en charge les femmes victimes » de violences.
Brèche législative
Il aura fallu de longues années de combat et de mobilisation pour obtenir ce texte dans un pays où le conservatisme et la religion pèsent fortement. Médias et ONG tirent régulièrement la sonnette d’alarme sur le fléau de la violence subie par les femmes, dans leur foyer mais aussi dans l’espace public. Dans une étude du Haut Commissariat au plan réalisée en 2011, plus de 62,8 % des femmes au Maroc expliquaient avoir subi récemment « un acte de violence sous une forme ou une autre ».
Une première brèche législative avait été ouverte en 2012 après la mort d’Amina El Filali, une Marocaine de 16 ans obligée d’épouser son violeur. Désespérée, Amina s’était suicidée en ingurgitant de la mort-aux-rats. Une histoire terrible qui avait provoqué un vaste mouvement de protestation dans le royaume et contraint le législateur à abroger l’article 475 du Code pénal, qui permettait à un violeur d’échapper à la justice en épousant sa victime.
Les débats autour des violences contre les femmes se sont accélérés ces dernières années, après plusieurs affaires très médiatisées. En août 2017, la vidéo d’une agression sexuelle collective d’une jeune fille dans un bus de Casablanca avait semé l’effroi. On y voyait la victime, en partie dénudée, bousculée et touchée par un groupe d’adolescents hilares. Le gouvernement avait alors promis une « stratégie » pour lutter contre le harcèlement.
« L’affaire Khadija »
L’urgence d’agir a de nouveau éclaté fin août avec « l’affaire Khadija », du nom de cette jeune fille de 17 ans, originaire du village d’Oulad Ayad (centre). Dans une vidéo diffusée le 21 août, l’adolescente racontait avoir été kidnappée, séquestrée, violée et martyrisée par des jeunes de son village. « Ils m’ont séquestrée pendant près de deux mois, violée et torturée […] Je ne leur pardonnerai jamais, ils m’ont détruite », expliquait-elle, montrant des tatouages graveleux et des traces de brûlures de cigarettes sur son corps.
Douze des agresseurs présumés, placés en détention préventive, sont sous le coup de différents chefs d’accusation : « traite d’être humain sur mineure », « viol », « torture et usage d’arme causant des blessures et séquelles psychiques », « constitution d’une bande organisée, enlèvement et séquestration » et « non-assistance à personne en danger ». Ils ont été entendus jeudi 6 septembre par le juge d’instruction, avant de prochaines audiences fixées au 10 octobre.
Au-delà de la violence de l’histoire, l’affaire a remis en lumière le conservatisme dont sont victimes les femmes dans la société. Le témoignage de la jeune Khadija a certes provoqué une vague d’émoi – une pétition demandant « justice pour elle » a récolté 115 000 signatures –, mais dans le même temps, il s’est accompagné de nombreux commentaires rejetant la faute sur elle. Un discours répandu dans le royaume, où les victimes de viol ou de harcèlement sont souvent considérées comme les premières coupables, accusées d’être aguicheuses, mal habillées ou pas à leur place.
La loi qui entre en vigueur est censée davantage protéger les femmes, mais elle conserve d’importantes lacunes aux yeux des militantes marocaines. « Sur la forme, ce n’est pas une loi globale qui assure la prévention, la protection, les sanctions et la prise en charge », souligne Me Rouggany. A titre d’exemple : le viol conjugal n’apparaît pas dans le texte. Celui-ci refuse en outre la possibilité pour les associations de se porter partie civile sans l’autorisation des victimes. « Outre toutes ces lacunes, l’un des enjeux de cette loi va être son application : que les intervenants appliquent réellement les dispositions et qu’il y ait un suivi des autorités, avec des statistiques et un travail de proximité avec les associations et la société civile », prévient l’avocate.