Dans l’est du Burkina, les attaques menacent la rentrée des classes
Dans l’est du Burkina, les attaques menacent la rentrée des classes
Par Sophie Douce (Ouagadougou, correspondance)
Après que des écoles ont été prises pour cibles par des hommes armés, des enseignants ont fui et craignent de regagner leur poste.
Dans une école à Ouagadougou, au Burkina Faso, en avril 2008. / LEON NEAL / AFP
Au Burkina Faso, la rentrée des classes du 1er octobre s’annonce sous haute tension dans la région de l’Est, où selon une note confidentielle d’un responsable de la police, des personnes visent « à implanter des bases aux fins d’attaques terroristes dans les environs ». Après l’attaque de trois écoles dans la province du Komondjari, l’inquiétude ne cesse de grandir parmi les enseignants. Samedi 8 septembre, un groupe d’individus non identifiés est pris à plusieurs infrastructures scolaires dans les villages de Tankoualou et Bargadé, sans faire de victimes.
« Des hommes armés, circulant à moto, ont mis le feu au bureau de l’école et au logement d’un instituteur pendant la nuit. Ils sont revenus le lendemain dans les mosquées pour dire qu’il n’y aurait pas de rentrée cette année. Ils ont précisé qu’ils ne s’attaquaient pas aux civils, seulement aux autorités », raconte un enseignant de Tankoualou qui préfère garder l’anonymat « pour se protéger ». « Ils sillonnent la zone. Tout le monde a peur, on n’ose pas sortir la nuit », poursuit l’homme, reclus à Matiakoali, à une centaine de kilomètres de son école. « Je n’y retournerai pas, c’est impossible. »
A Gayeri, où le poste de gendarmerie a été attaqué le 3 septembre, un professeur prévient : « Si la situation continue de se dégrader, nous ne pourrons pas assurer les cours. On n’a rien pour affronter ces groupes, on ira se mettre à l’abri. » Selon lui, ces « nouveaux occupants » sèment « la psychose » :
« Les habitants sont dans le flou total, ils ne comprennent pas les objectifs de ces hommes. Et on a le sentiment que les forces de sécurité ne peuvent rien. »
« Les gens ont peur, mais il est trop tôt pour dire que la rentrée n’aura pas lieu, préfère relativiser un agent d’une école primaire de Pama, dans la province du Kompienga. L’objectif des assaillants est que l’administration ne fonctionne plus et que les écoles ferment, mais si on cède, ils auront gagné. »
« Ils s’attaquent à tout ce qui représente l’Etat »
Saccager des écoles et des bâtiments administratifs : le mode opératoire se durcit sur le « nouveau front de l’Est », comme le qualifient déjà certains observateurs. Auparavant, les groupes armés ciblaient principalement des positions des forces armées burkinabées. « Ils s’attaquent maintenant à tout ce qui représente l’Etat dans les villages », analyse Adolphe Tankoano, enseignant à Fada N’Gourma, le chef-lieu de la région.
« Certains de nos collègues ne sont pas prêts à rejoindre leur poste. Ils ont reçu des menaces claires. Plusieurs localités sont particulièrement exposées, certains endroits sont minés », s’alarme un responsable régional de la Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche (F-Synter).
Jean-Pierre Ndo, le secrétaire général adjoint de la F-Synter, critique :
« Dans le nord du Burkina, plus de 200 établissements sont déjà fermés à cause de la menace terroriste. Fermer les écoles, c’est laisser les enfants livrés à eux-mêmes et nourrir un potentiel vivier pour les djihadistes. L’Etat doit prendre des mesures pour que les enseignants puissent travailler. Mais jusque-là, nous ne voyons pas de signaux forts. »
Au ministère de l’éducation nationale, on assure suivre la situation « de très près » :
« Mais il faut relativiser, nous ne sommes pas dans le même cas de figure que les régions du Nord et du Sahel. La fermeture des établissements serait un mauvais message à envoyer, nous ne voulons pas faire peur à nos instituteurs ni à la population. »
« Une vaste opération de déstabilisation »
Reste que ces dernières semaines, les assauts se sont faits de plus en plus fréquents dans la région de l’Est, déjà en proie au grand banditisme. Tirs contre des postes de gendarmerie et des patrouilles militaires, explosions de mines artisanales sur les axes routiers… Depuis le début de l’année, 20 attaques ont été enregistrées dans cette zone forestière à la frontière avec le Niger, le Bénin et le Togo. Et les attaques à l’engin explosif improvisé, courantes au Mali et en Irak, se sont multipliées. Le 28 août, l’armée burkinabée a enregistré son plus lourd bilan humain dans la région, avec la mort de sept soldats dans l’explosion d’une bombe artisanale, à une trentaine de kilomètres de Fada N’Gourma.
Samedi, le président Roch Marc Christian Kaboré, tout juste rentré d’une visite officielle en Chine, a convoqué un conseil supérieur de la défense. « Nous assistons à une vaste opération de déstabilisation du Burkina Faso. […] C’est pour cela que des dispositions urgentes seront prises les prochains jours pour rétablir la sécurité dans cette zone », a promis le chef de l’Etat, sans donner plus de précisions sur les opérations militaires à venir.