La Coupe Davis, une passion si française
La Coupe Davis, une passion si française
Par Alexandre Pedro (envoyé spécial à Villeneuve d'Ascq)
Contre l’Espagne, en demi-finale, la France vit les dernières heures de la Coupe Davis telle qu’elle l’a aimée. Retour sur l’histoire et les raisons de cet amour pour un saladier.
Nicolas Mahut, Julien Benneteau, Benoit Paire, Richard Gasquet, Lucas Pouille leur capitaine Yannick Noah : l’équipe de France devant sa chère Coupe Davis, jeudi 13 septembre à Villeneuve-d’Ascq (Nord). / PHILIPPE HUGUEN / AFP
La France du tennis pleure. Ses larmes ruissellent dans un saladier en argent acheté 1 000 dollars à un orfèvre de Boston par Dwight Filley Davis en 1900. Des larmes pour dire au revoir à une certaine idée de la Coupe Davis au moment de défier l’Espagne au stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d’Ascq, du vendredi 14 au dimanche 16 septembre, pour une place en finale ; la dernière avant le grand chambardement prévu en 2019 avec un format à dix-huit équipes réunies pour une semaine de compétition sur terrain neutre.
« Je ne sais même pas comment on peut encore appeler ça Coupe Davis, soupire Patrice Hagelauer, 21 campagnes au compteur comme entraîneur auprès de sept capitaines différents entre 1978 et 1999. Je suis effondré quand je pense à ce gâchis. »
Depuis que la Fédération internationale de tennis (FIT) a adopté, le 16 août – avec le vote du président de la fédération française, Bernard Giudicelli –, son projet de refonte radicale de sa vénérable compétition par équipes nationales, il faut bien s’apprêter à dire adieu aux batailles homériques en cinq sets, aux ambiances bouillantes et pas toujours amicales.
Comme en 1985, quand Yannick Noah et Henri Leconte tombent dans l’enfer d’Asuncion face au Paraguay de Victor Pecci sur un parquet ciré et au milieu des cris, insultes et tambours du public local. « On sortait du court en se protégeant avec nos raquettes pour ne pas se faire massacrer », en tremble encore Henri Leconte.
Un objectif plus atteignable
Le saladier d’argent se méritait. Le tennis français (troisième puissance mondiale avec ses dix succès) était bien placé pour le savoir. Pendant cinquante-neuf ans, il a été cet éternel éconduit entre la sixième et dernière victoire des Mousquetaires, en 1932, et ce Saga Africa dansé par la bande du capitaine Noah, à Lyon, après la victoire surprise contre les Etats-Unis.
Ce 1er décembre 1991, Arnaud Clément, 13 ans, saute sur le canapé familial à Aix-en-Provence après l’ultime coup droit gagnant de Guy Forget face à Pete Sampras. Dix ans plus tard, il soulève à son tour le saladier d’argent en Australie avec les Escudé, Grosjean, Santoro et Pioline. « On a été inspirés par les générations précédentes, on s’est dit que c’était possible. Et ça a aussi contribué à ce qu’on aille battre l’Australie de Hewitt et Rafter chez elle. On était armés par cette culture de la Coupe Davis. »
Les mauvaises langues diront que cet amour doit aussi beaucoup à la relation plus froide entretenue par le tennis tricolore et les victoires en Grand Chelem. Ce qui explique le zèle des Lucas Pouille ou Richard Gasquet à défendre la formule actuelle, quand Rafael Nadal ou Roger Federer ont soutenu le coup de balai proposé par le footballeur Gerard Piqué et la société Kosmos.
Alors que les images du sacre de Noah à Roland-Garros, en 1983, commencent à jaunir, la Coupe Davis restait un objectif plus atteignable. « Avec notre grosse densité de joueurs dans le top 100, c’est vrai qu’on se disait chaque année qu’on avait toujours notre chance », explique Arnaud Clément.
« On a décidé de mettre le paquet sur cette compétition »
Président de la fédération française de tennis (FFT) entre 1973 et 1993, Philippe Chatrier est l’homme par lequel la reconquête débute. A peine installé, le dirigeant réunit entraîneurs et cadres techniques pour fixer le cap. Directeur technique national à l’époque, Jean-Paul Loth cite les mots présidentiels : « Chatrier nous a réunis pour nous dire : “Il faut gagner la Coupe Davis. J’attends de vous des programmes pour qu’on arrive à la reconquérir.” On a alors décidé de mettre le paquet sur cette compétition. »
Plus facile à décider qu’à réaliser. François Jauffret détient encore le record du nombre de matchs disputés par un joueur français en Coupe Davis : 70 entre 1964 et 1978. Mais sans finale à la clé. « Tous les meilleurs joueurs disputaient la Coupe Davis à l’époque, rappelle-t-il. Les Australiens, les Américains, les Roumains avec Nastase…, et ces équipes étaient meilleures que nous. »
Jauffret va vivre la victoire de 1991 dans le costume de DTN. « Philippe Chatrier était déjà malade [il était atteint de la maladie d’Alzheimer] et ne savait pas s’il serait encore vivant au moment de la finale, il a pu assister à ce grand moment. Je me souviens aussi que Jean Borotra était descendu dans les vestiaires, à 93 ans, pour fêter ça avec nous. »
Le témoin est transmis, mais aussi une certaine idée de la Coupe Davis et de l’état d’esprit qu’elle véhicule. « En France, nous avons cette culture des matchs par équipe avec les interclubs. On aime jouer pour un club, pour son pays, et la Coupe Davis était le sommet de la pyramide pour un joueur », avance Patrice Hagelauer.
Et il serait mal vu de faire défection. « Contrairement aux autres pays, si un joueur ne joue pas, tout le monde lui tombe dessus », estime l’actuel numéro un français, Lucas Pouille. Jean-Paul Loth pose le problème autrement : « Nous n’avons jamais eu de numéro un mondial, rappelle celui qui fut capitaine entre 1980 et 1987. S’il avait existé, je ne suis pas persuadé qu’il aurait disputé la Coupe Davis chaque année. Il aurait fait son programme à la carte d’une année sur l’autre, comme Federer avec la Suisse. Quand vous êtes installé dans le top 3, la composition de votre saison est très complexe. »
Le tennis tricolore n’a jamais connu ce problème de riche. Quand Richard Gasquet tapote sur son portable plutôt que d’encourager ses partenaires face aux Etats-Unis, en 2008, il n’échappe pas à un procès en amour du maillot. Idem pour Gaël Monfils et ses nombreux mots d’absence.
La nostalgie l’emporte
« Cette compétition est tellement dans notre culture que tout va être exacerbé, la moindre défaite, la moindre polémique », observe Arnaud Clément. Pour illustrer son propos, l’Aixois évoque son bizutage, en 2001, face à la Belgique. Dans la foulée de sa finale perdue contre Agassi à l’Open d’Australie, il vit un cauchemar pendant une heure contre Christophe Rochus : « J’étais mieux classé que lui, mais je me suis retrouvé à deux sets à zéro. J’étais paralysé par l’enjeu. Je me suis alors souvenu d’un conseil de Guillaume Raoux, qui était alors dans le staff : “Pense à respirer.” C’était tout bête, mais je jouais en apnée. J’ai fini par gagner. »
Comme capitaine entre 2012 et 2015, Clément a aussi connu le revers de cette passion bien française, entre choix contestés, défaites qui passent mal et manœuvres de certains joueurs pour l’écarter et réinstaller Yannick Noah sur la chaise de capitaine.
Mais, à l’heure de commenter la rencontre face aux Espagnols pour France Télévisions, la nostalgie l’emporte face aux mauvais souvenirs. « La soirée à Melbourne après notre victoire en 2001 restera la plus belle de ma vie de sportif. Je vais profiter pour une dernière ou avant-dernière fois du plaisir de la Coupe Davis que j’aime », assure Clément.
Et si Patrice Hagelauer pense déjà « à la nouvelle génération qui ne connaîtra jamais ces ambiances », François Jauffret croit que l’histoire s’écrira autrement. « En 2040, je ne serai plus là pour voir ça, mais quand on regardera le palmarès, si on voit France 2019 ou 2022, on ne dira pas qu’elle a remporté la mauvaise Coupe Davis. Les joueurs n’auront jamais connu l’ancienne formule et ne pourront pas en être nostalgiques. » Peut-être même un Français aura-t-il succédé à Yannick Noah au palmarès de Roland-Garros d’ici là...