Manga : « Noise », un thriller rural à l’ombre des figuiers japonais
Manga : « Noise », un thriller rural à l’ombre des figuiers japonais
Par Pauline Croquet
Révélé par un éditeur français de mangas, le dessinateur Tetsuya Tsutsui revient avec son genre de prédilection, le thriller, cette fois bien loin des ambiances métropolitaines.
« Noise ». / KI-OON
A l’origine, une figue. C’est ce fruit qu’a choisi le mangaka Tetsuya Tsutsui comme point de départ de sa nouvelle série, Noise, parue au début de septembre chez Ki-oon, la maison d’édition qui l’a révélé. Plus qu’un point de départ, une métaphore inspirée par un documentaire vu à la télévision japonaise. « Il montrait comment les figuiers attirent et piègent les guêpes dans leurs fruits. Sans cette intervention, les figues ne peuvent éclore », explique le dessinateur, « c’est une relation, un échange complexe, où chacun a besoin de l’autre. C’est l’image d’un élément extérieur qui s’engouffre dans un microcosme ».
Dans ce thriller, le genre de prédilection de Tsutsui qu’il aime entrelacer avec un récit de mœurs et de société, le fruit violacé permet à une petite ville rurale qui se vidait de ses habitants de redevenir prospère après qu’un célèbre youtubeur (qui prend les traits de la superstar du Net japonais Hikakin) en fasse la promotion. Les commandes affluent comme les caméras des journaux télévisés, les curieux et de nouveaux ruraux qui aimeraient profiter de cette nouvelle abondance. Parmi elles, le vulgaire et obséquieux Mutsuo Suzuki venu tenter sa chance comme ouvrier agricole. Il suscite immédiatement la méfiance de Keita Izumi, l’exploitant du florissant verger, en instance de divorce avec sa femme. Son instinct ne l’a pas trompé, le visiteur se révèle être un repris de justice doublé d’un prédateur sexuel. Izumi et quelques concitoyens vont se demander comment protéger la communauté de cet individu, quitte à faire justice eux-mêmes.
« Noise ». / KI-OON
Le mangaka quitte ses habituels univers urbains pour nicher son huis clos au cœur de sa région natale, la préfecture d’Aichi, non loin de Nagoya. « Au-delà du problème de la concentration de la population, qui est réél au Japon, notamment à Tokyo, ce qui m’a intéressé ce sont les bulles fermées mais soudées que sont les villages et les populations rurales. Ce type de scène est idéal pour construire un thriller », explique-t-il au Monde lors d’un bref passage à Paris.
S’ajoute également l’inspiration de deux faits divers, matière dont Tetsuya Tsutsui nourrit énormément ses mangas. « Le premier est celui d’une jeune popstar qui a été poignardée par un fan frustré. Je me suis demandé comment cela se passerait s’il sortait de prison. Il y a ensuite l’histoire d’une personne qui a été mise au ban d’un petit village de campagne et qui a pété les plombs et s’en est pris à la population », rapporte le dessinateur.
« Noise ». / KI-OON
A l’image de ce que le mangaka a développé avec Prophecy, sa trilogie probablement la plus connue, Tetsuya Tsutsui aime observer la nature humaine et les réactions des gens face à l’adversité : « Ce que je veux faire passer, ce sont les ondes que des événements brutaux peuvent provoquer chez des personnages ordinaires », défend l’auteur. Un questionnement moral qui passe par les tiraillements intérieurs des personnages et une expressivité que le dessinateur sait habilement restituer sur ses planches. Le questionnement moral, la notion de justice, pourtant omniprésents dans une œuvre étalée sur plus de quinze ans, ne sont pour l’auteur qu’annexes, bien que subtilement travaillées : « Etant donné que je me base sur des faits divers au départ, j’imagine que j’y mets mon ressenti personnel face à ce type de situation, de façon assez terre à terre », concède-t-il.
Comme pour ses précédentes séries, l’intrigue de Noise trouvera un épilogue en trois tomes au maximum. Une façon pour le mangaka de rester tonique dans son récit, dont les conclusions sont parfois, hélas, moins haletantes que leurs démarrages. Pourvu cette fois que la figue ne flétrisse pas.
Noise, de Tetsuya Tsutsui, traduction de David Le Quéré, tome I le 6 septembre, éditions Ki-oon, 198 pages, 7,90 euros.