La bien peu glorieuse mission du Messager : porter un parchemin. Mais à qui ? / Sabotage Studio

The Messenger, développé par le studio québécois Sabotage, est sorti le 30 août sur PC et Switch. Mais un observateur peu attentif pourrait un peu rapidement conclure qu’il vient tout droit des années 1980.

De fait, ses développeurs, les Québécois du studio Sabotage, ne font pas mystère d’avoir voulu recapturer l’esprit des jeux d’alors, et en particulier de la trilogie Ninja Gaiden, sortie vers la fin du XXe siècle sur NES. Une autre époque.

Le Messager du titre, c’est le héros, un apprenti ninja un peu cancre à qui échoit une mission au départ pas précisément exaltante. Pas question pour lui de sauver le monde des forces démoniaques qui le menacent : il doit se contenter de porter un message à ceux qui se chargeront de récolter les lauriers, et qui sont pour le moment planqués loin, très loin, vers l’est.

Comme à l’époque de Ninja Gaiden, le héros court, saute, tranche. Les gestes sont secs, précis. Pas de place à l’approximation : on est ici dans un jeu exigeant, voire, de temps en temps, assez difficile. Notre habile coursier possède tous les attributs du ninja classique, certains dès le début de l’aventure, d’autres qu’il débloquera au cours de son périple : shurikens, grappin et surtout varappe sont au rendez-vous, le Messager courant sur les murs avec l’aisance d’un chat en gravité zéro.

Le premier niveau, si on y revient plus tard dans le jeu, aura totalement changé de physionomie. / Devolver

A l’Est rien de nouveau

Et donc, le Messager avance vers l’est, inexorablement. Pour le joueur, cela revient, conformément aux plus vieilles conventions du jeu vidéo, à avancer vers la droite, enchaînant les tableaux, les combats, et les parcours d’obstacles requérant doigté et astuce. Une quête qui finira par le ramener sur ses pas, car forcément, et la science l’explique désormais assez bien, la Terre est ronde.

Les conventions du jeu vidéo, The Messenger s’en amuse d’ailleurs beaucoup. Cela passe d’abord par des dialogues franchement tordants, où sont égratignés tous les clichés du genre, à dose suffisamment homéopathique pour que jamais cela ne vire à la farce.

Surtout, The Messenger s’empare de l’histoire même du média, et en fait une mécanique de jeu à part entière. Et quand, à l’issue du premier tiers du jeu, notre Messager, au prix d’un rebondissement scénaristique incertain, est projeté dans le futur, c’est toute la physionomie du jeu qui est changée.

De clone de jeu d’action des années 1980, il prend alors les atours d’un Ninja Gaiden 16-bit fantasmé, au « pixel art » plus fin, plus années 1990, digne non plus de la NES mais de sa petite sœur, la Super Nintendo. Il affiche fièrement des décors plus riches, des personnages plus détaillés – ce chapeau, que le héros affiche désormais fièrement !

Une sacrée surprise, et ce n’est que le début : car dans son dernier tiers, The Messenger se décloisonne soudain, permettant enfin au personnage de revenir en arrière, de revisiter les premiers niveaux avec l’accoutrement des derniers (et vice-versa), dévoilant de nouveaux passages et même de nouveaux environnements.

C’est là que le jeu, déjà ciselé, prend une nouvelle dimension, ne relisant plus simplement l’histoire du jeu vidéo mais se relisant carrément lui-même. Un jeu dans le jeu, sorte d’image fractale dans laquelle les développeurs se perdent un peu. Bien sûr, c’est brillant, mais ça commence aussi alors à devenir un peu long, se dit-on tandis que l’on approche et bientôt dépasse la quinzième heure de jeu.

Evident et élégant

Mais The Messenger vaut mieux que ses astuces formelles et rigolotes. Comme son héros, coincé entre passé et futur, le jeu du studio Sabotage est lui aussi double.

Jeu de 2018 qui ressemble à un titre de 1988, il se doit de répondre à une angoissante question : qu’est-ce qui fait que le jeu vidéo, plutôt que comme un bon vin, un bon disque ou un bon bouquin, se mue quasi invariablement, avec les années, en infâme piquette ? Pourquoi tout le monde porte au pinacle les vieux Mega Man, Castlevania ou, donc, Ninja Gaiden, alors que plus grand monde n’a vraiment envie d’y jouer ? Et comment, dès lors, donner envie de jouer à The Messenger ?

Sa réponse, le studio Sabotage est allé la puiser à la même source que les développeurs de Shovel Knight, jeu d’action plate-forme rétro qui, déjà, en 2014, avait su capturer tout ce qui fait le charme des jeux d’antan sans rien sacrifier de ce qu’on attend d’un jeu moderne.

A chaque fois que le joueur passe entre passé et futur, les graphismes et la musique change en conséquence. / Sabotage Studio

Plutôt que de simplement singer ce qui se faisait à l’époque, The Messenger reprend ce qui l’intéresse, du charme des pixels au découpage des niveaux, en passant par la palette de mouvements du héros. Mais il se débarrasse sans vergogne de toutes les lourdeurs, et ne cède pas au piège de la nostalgie en refusant de se prêter au petit jeu des clins d’œil inutiles ou des références superflues.

Ne leur reste plus alors qu’à combler les trous avec des emprunts moins évidents (les boss, qui évoquent ceux des vieux jeux Capcom), et surtout, à lier le tout avec une mécanique nouvelle. Ici, c’est le double, le triple, voire le quadruple saut : le Messager est en effet capable de rester théoriquement indéfiniment en l’air, tant qu’il tape. Il peut ainsi multiplier les sauts à l’infini, tant qu’entre deux impulsions, il frappe un ennemi, un projectile, ou juste un élément du décor.

Couplé au grappin et à la cape qui lui permet de planer, l’infatigable ninja survole dès lors les obstacles, tandis que le joueur, peu à peu, délaisse les réflexes du jeu d’action pour avoir l’impression de se prêter, à la place, à une sorte d’interminable chorégraphie aérienne. Une mécanique nouvelle donc, qui permet de redécouvrir le genre comme au premier jour, et qui, pourtant, possède elle aussi l’évidence et l’élégance des grands classiques.

En bref

On a aimé :

  • Un jeu aussi bon que l’image qu’on a gardé des jeux d’époque
  • Les multiples astuces formelles
  • L’humour qui tape juste

On n’a pas aimé :

  • Un peu trop long sur la fin
  • Quelques pics de difficulté incompréhensibles
  • La bande-son, super mais répétitive, mais super, mais répétitive

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous aimez les gros pixels 8-bit
  • Vous aimez les petits pixels 16-bit
  • Vous aimez Pixels, cette incroyable rubrique du Monde

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous êtes allergique à la nostalgie sous toutes ses formes
  • Vous êtes moins patient qu’en 1988

La note de Pixels :

256 × 240