L’un des panneaux portant le nom de Moustapha Badreddine, à Ghobeiry, dans la banlieue sud de Beyrouth, le 18 septembre. / ANWAR AMRO / AFP

Un baptême de rue controversé ravive les divisions au Liban. A Jnah, un quartier de la banlieue sud de Beyrouth, une artère vient d’être baptisée du nom de Moustapha Badreddine, un ancien chef militaire du Hezbollah, tué en Syrie, en 2016, et considéré par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) comme le « cerveau » de l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien premier ministre Rafic Hariri, en 2005.

Une nomination « regrettable », a commenté, mardi 18 septembre, Saad Hariri, le premier ministre désigné du pays et fils du leader sunnite assassiné. « Nous parlons d’éteindre la discorde » dans un pays qui demeure sans gouvernement depuis les élections générales du 6 mai, a rappelé M. Hariri. « Mais ça, c’est la discorde à l’état pur ! », a-t-il ajouté.

A l’origine de la décision, la municipalité de Ghobeiry, composée d’élus affiliés au Hezbollah et à son allié Amal, et dont dépend le quartier de Jnah, affirme avoir choisi il y a plus d’un an d’honorer Moustapha Badreddine. Depuis sa mort, son portrait est placardé partout dans les faubourgs à majorité chiite au sud de la capitale, fief du Hezbollah. La récente installation de plaques bleues à son nom, dans une rue située à deux pas de l’hôpital public Rafic-Hariri, est une forme d’escalade.

Le Hezbollah a toujours défié le tribunal

Cela semble adresser un camouflet au tribunal international, où le procès des coupables de l’assassinat de Rafic Hariri est en passe de s’achever. Après la clôture des déclarations finales, vendredi 21 septembre, l’instance doit rendre son verdict concernant les quatre accusés, jugés en leur absence, tous membres présumés du Hezbollah. En 2016, prenant acte de la mort de Moustapha Badreddine, le TSL avait mis fin à la procédure engagée contre lui. Mais son nom n’a cessé de ressurgir. Le puissant parti chiite a toujours défié le tribunal, le jugeant « politisé ». Tout en démentant son implication dans l’attentat de 2005, il a mené un long travail de sape de cette institution, délégitimée aux yeux de son public.

Dès qu’ont circulé les photos des panneaux signalétiques, qui portent en arabe la mention de « martyr », les réseaux sociaux se sont enflammés entre partisans et opposants du Hezbollah. Le ministre de l’intérieur sortant, Nohad Machnouk, membre de la formation de M. Hariri, veut obtenir le retrait des plaques.

Mais cela semble mission impossible. « Le ministère aurait dû riposter avant », estime un avocat. Les élus de Ghobeiry affirment avoir notifié, à l’été 2017, leur décision au ministère, qui n’a pas réagi. Selon l’expert juridique, « de part et d’autre, l’affaire est politique. Elle est mise sur le tapis à cause de la conclusion des travaux du TSL. » Un interlocuteur, au sein du ministère de l’intérieur, interprète ce baptême de rue comme une « provocation aux yeux d’une moitié des Libanais », ceux qui dénoncent l’hégémonie du Hezbollah au Liban.

Fin août, Hassan Nasrallah, le chef de cette force politico-militaire, a réaffirmé que le TSL n’a « aucune valeur » aux yeux de sa formation. Mais les pressions s’accentuent sur elle, avec, par ailleurs, des sanctions américaines. Dans ce contexte, la nomination de la rue Badreddine, écrit Roula Mouwaffaq dans le quotidien Al Liwaa, correspond au « besoin », pour le Hezbollah, de « mobiliser sa base ». Et de s’interroger : « Le pays est-il au seuil d’un nouveau cycle de tensions confessionnelles ? »

Un torrent de déchets dans les rues de Beyrouth
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