Des cinéastes algériens dénoncent la « censure »
Des cinéastes algériens dénoncent la « censure »
Après plusieurs interdictions, treize réalisateurs et trois producteurs ont publié une tribune dans le quotidien « El Watan » pour rappeler l’état de la liberté d’expression.
Un groupe de seize professionnels algériens du cinéma a dénoncé lundi 24 septembre, dans une tribune publiée dans le quotidien francophone El Watan, la « censure » exercée en Algérie et « les limites à la liberté d’expression », après la récente interdiction de diffusion de plusieurs films dans le pays.
Début septembre, le ministère des Moudjahidine (anciens combattants) a exigé des « modifications » pour autoriser la sortie en salles d’un film sur Larbi Ben M’hidi, héros de la guerre d’indépendance algérienne, en invoquant la loi qui soumet à l’autorisation préalable du gouvernement « les films relatifs à la guerre de libération nationale ».
« Etroites limites »
Quelques jours plus tard, le ministère de la culture n’avait pas autorisé la projection, en clôture du festival des Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB), du documentaire Fragments de rêves de la réalisatrice algérienne Bahia Bencheikh El Fegoun, qui donne la parole à des figures des mouvements sociaux en Algérie depuis 2011.
Ces interdictions, et de précédentes ces dernières années, « nous rappellent la précarité de notre profession et les étroites limites fixées à la liberté de création et d’expression dans notre pays », expliquent les treize cinéastes et les trois producteurs dans leur tribune. Parmi les signataires figurent notamment, outre Bahia Bencheikh El Fegoun, Abdelkrim Bahloul dont deux films furent projetés à Cannes et à Venise, et Karim Moussaoui, dont le récent En attendant les hirondelles a été sélectionné dans une section parallèle à Cannes.
On y retrouve également Fayçal Hammoum, dont le documentaire Vote off, portrait d’abstentionnistes en Algérie, n’avait pu être diffusé au RCB en 2016, ou le documentariste Malek Bensmaïl, dont le film Contre-pouvoirs consacré au travail d’El Watan durant la présidentielle de 2014, n’a pas eu de visa d’exploitation en Algérie.
Ces interdictions privent le « public algérien d’œuvres l’interpellant, lui redonnant son image, l’image de sa société, de son passé et de son présent, avec des regards critiques et diversifiés, alimentant (…) la réflexion et le débat démocratique et contradictoire dans notre pays », rappellent les signataires. « Les dirigeants politiques à l’origine de cette censure ou validant la bêtise de ceux qui la pratiquent décrédibilisent la production cinématographique et culturelle algérienne aux yeux de son public et du citoyen », poursuivent-ils.
Commission « opaque »
Contacté par l’AFP, le ministère de la culture n’a pas réagi officiellement. « Composée notamment de réalisateurs et de producteurs », la commission chargée d’octroyer les visas aux films, « travaille dans la transparence », a toutefois assuré un fonctionnaire du ministère sous couvert d’anonymat. « Les cinéastes sont informés des raisons » en cas de refus, a-t-il ajouté, citant parmi les motifs possibles le « non-respect des valeurs du pays », « l’atteinte aux symboles de la nation », « l’incitation à la violence ou à la haine entre communautés ».
Le refus d’autoriser la projection de Vote off n’a jamais été communiqué aux organisateurs des RCB, affirme son réalisateur Yacine Bouaziz à l’AFP : « Ce film n’était pas contre le système (…), mais quelqu’un a probablement dit “non” sans voir le film, juste parce qu’il évoquait les élections présidentielles et les jeunes. » Laila Aoudj, directrice artistique des RCB, avait dénoncé en septembre « l’opacité » de cette commission, assurant que le refus de projeter Fragments de rêves n’a pas été motivé.