A Montparnasse, une fresque de Brusk casse le train-train urbain
A Montparnasse, une fresque de Brusk casse le train-train urbain
Par Emmanuelle Jardonnet
Le graffeur, esthète du détail, provoque une collision picturale au milieu des travaux du quartier de la gare parisienne.
Fresque de Brusk dans le quartier de la gare Montparnasse à Paris. / ART EN VILLE
Quand le street art accompagne les mutations urbaines : c’est l’approche de l’association Art en Ville, qui inaugurait, jeudi 27 septembre, une fresque monumentale – et temporaire – du graffeur Brusk dans le quartier en chantier de la gare Montparnasse. A un croisement (entre la rue Vercingétorix et l’avenue du Maine) redessiné dans les années 1970 pour devenir un échangeur de l’autoroute A10 au cœur du 14e arrondissement. L’heure est aujourd’hui au renouveau, et Olivier Landes, fondateur d’Art en Ville, a proposé à Unibail, propriétaire d’une grande partie du pâté de maison, « d’utiliser l’espace comme une sorte de terrain de jeu visuel pendant la phase de transition urbaine ».
Cet urbaniste de formation, par ailleurs passionné d’art urbain, publiait l’an dernier le livre Street art Contexte(s) (éd. Alternatives), où il analysait les interdépendances entre le street art et son environnement. Le contexte est ici un paysage dominé par des constructions que l’architecte Pierre Dufau, monument des Trente Glorieuses, avait imaginées sur cette large parcelle. « A l’époque, Montparnasse devait devenir La Défense de la Rive gauche, avec une architecture sur dalle et une séparation des flux qui n’a jamais trop marché. J’ai un peu raconté tout ça aux artistes, et je leur ai demandé de se jouer de ce paysage de périphérique », résume Olivier Landes.
A l’automne dernier, il a d’abord convié l’Allemand SatOne à investir l’accès en plein air vers une bibliothèque municipale installée au niveau -1 de la dalle, en travaillant l’espace comme des couches géologiques aux couleurs détonnantes. Une fresque en trois dimensions qui a révélé ce lieu caché dans un écrin de béton. Le duo français Velvet & Zoer, qui s’est ensuite vu confier l’immeuble de bureaux adjacent, a au contraire choisi d’invisibiliser la façade en béton crénelé par une peinture en trompe-l’œil reprenant les rayures blanches et noires de l’hôtel Pullman, mastodonte de 32 étages (du même Dufau) situé en arrière-plan, pour créer un code-barre géant. Les deux projets, déjà touchés par les travaux, disparaîtront définitivement à la fin de l’année pour laisser place aux bâtiment imaginés par le cabinet d’architectes néerlandais MVRDV, amenés à réhumaniser les lieux en mêlant nouveau centre commercial, bureaux, crèche, bibliothèque et logements.
« Après l’abstrait de SatOne et le conceptuel de Velvet & Zoer, j’ai voulu amener un figuratif sur cette belle page blanche qu’est le mur aveugle de la base-vie », dit Olivier Landes devant l’immense bâtiment en préfabriqué installé sur place. Soit huit étages de logements de chantier. « C’est pour ça que j’ai fait appel à Brusk : pour pouvoir exister dans ce chaos vertical, car c’est un artiste qui a une identité visuelle très intense », résume le directeur artistique.
Brusk, 42 ans, brisquard du graffiti au regard clair et à la barbe blanche, est un esthète du détail. A 100 mètres de la gare Montparnasse, il a choisi de réinterpréter grandeur nature une fameuse photographie locale : celle de l’accident de train de 1895, où la locomotive, qui n’avait pu s’arrêter en gare, en avait transpercé la façade.
« Une image cocasse, tragi-comique »
Une œuvre représentant un accident, l’idée peut heurter. « Cette photo représente certes une catastrophe ferroviaire, qui n’avait par miracle fait qu’une victime, à quai, mais elle est passée à la postérité comme une image cocasse, tragi-comique. Ici, le wagon qui se renverse est plein de bonbons plutôt que de charbon, et l’image évoque aussi un petit train. Il y a quelque-chose de très lié à l’enfance dans le travail de Brusk », argumente Olivier Landes. Le site permet aussi une certaine liberté de ton, selon lui : « C’est un lieu très hôtelier et routier, on peut avoir des choses un peu dingues comme ça. Je ne fait pas les mêmes choix avec des œuvres pérennes dans des quartiers habités et denses. »
Le sujet de la fresque s’est imposé tardivement. « J’ai eu beau réfléchir pendant deux-trois mois, faire plein de croquis, je n’ai eu le déclic que trois jours avant. Je suis retombé sur cette photo et c’est devenu une évidence. Je travaille beaucoup dans l’urgence », explique Brusk, qui peint sans dessin préparatoire détaillé. « Je fais ma forme globale, et après je m’amuse, j’improvise. Entre une feuille A4 et un mur de 30 par 15, tu n’as pas le même feeling. Je compose avec les murs », précise l’artiste, 28 ans de pratique graffiti au compteur.
Il a au passage troqué la bombe pour le pinceau. « C’est la première fois de ma vie que je fais un mur au pinceau, et c’est presque le même que je prends pour mes toiles, il est assez fin », explique-t-il après dix jours de chantier à peindre debout dans la nacelle. « A la bombe, je n’aurais pas pu avoir ce rendu », explique-t-il. Le trait rappelle celui de la BD, en version XXL. Il confirme : « Ça fait trois-quatre ans que je suis tombé dans la BD. Je lis plein de trucs, beaucoup d’Américains indépendants. Je pense que ça influe énormément sur mon travail. »
Parmi les détails, on retrouve les tags et stickers qu’il peint régulièrement dans ses fresques. « Le public, les gens en général, comme ceux qui achètent mes toiles, n’aiment pas le tag, même quand ils aiment le street art ou le graffiti. Ça m’amuse de mettre plein de choses vraiment vandales et qu’elles soient perçues différemment, appréciées, parce que j’apporte une histoire et que je les mets en scène, confie l’artiste. C’est plein de dédicaces à mon entourage et tous ceux qui m’ont aidé à réaliser l’œuvre, plein de petits signes qui rappellent où on est, avec qui j’ai fait ça, et d’où je viens. » La fresque doit rester en place jusqu’à la fin des travaux, en 2020.