« D’après une histoire vraie » : le vertige de l’écran blanc, selon Polanski
« D’après une histoire vraie » : le vertige de l’écran blanc, selon Polanski
Par Thomas Sotinel
Le réalisateur signe une adaptation réussie d’un roman de Delphine de Vigan.
Emmanuelle Seigner (Delphine) et Eva Green (Elle). / WHY PRODUCTIONS / CAROLE BETHUEL
C’est un jeu dans lequel Roman Polanski est passé maître depuis longtemps, et son adaptation de D’après une histoire vraie, le roman de Delphine de Vigan, est une nouvelle variation, légère, amusante sans être dépourvue de tension, sur ce thème. Les tribulations de Delphine Dayrieux, romancière tenaillée par l’angoisse de l’écran blanc, ne peuvent se prendre tout à fait au sérieux. Mais, à l’écran, Emmanuelle Seigner la fait souffrir avec assez de conviction pour qu’on se laisse embarquer.
Comme s’en souviennent sans doute les lecteurs de Delphine de Vigan, l’héroïne vient de connaître un succès massif avec un livre qui relève de l’autofiction, dont l’écriture l’a laissée vidée de toute énergie créatrice. La romancière fait, au hasard d’une soirée, la connaissance d’une jeune femme qui se présente sous le simple nom d’Elle, diminutif d’Elisabeth. Elle (Eva Green) est belle et pas tout à fait normale. Elle parle comme un livre, avec des phrases plus jolies sur le papier que vraisemblables quand on les entend, avec une diction étudiée et artificielle.
Etanchéité du huis clos
Dans le récit, Elle occupe la place que tenait Norman Bates dans Psychose, ou les gentils voisins de Rosemary’s Baby : des inconnus dont l’apparente bonne volonté cache les plus noirs desseins. De Dark Shadows (le film de Tim Burton) en Penny Dreadful (la série de John Logan), Eva Green a accumulé une certaine expérience du malaise au cinéma ; elle le distille très habilement ici.
Elle s’insinue dans chacune des fissures de la vie de Delphine, ses doutes d’écrivaine, son angoisse de mère face au nid vide, la culpabilité née du succès d’un dernier livre nourri d’une tragédie familiale. Le scénario d’Olivier Assayas et de Roman Polanski utilise chacun de ces troubles pour assurer l’étanchéité du huis clos dans lequel s’enferment l’auteure et la lectrice. Comme souvent dans les films de son mari, Emmanuelle Seigner finit par payer le prix fort pour sa complaisance initiale, bientôt pervertie par un intérêt vampirique. L’actrice ne s’économise pas face à sa bizarre et très froide partenaire. Roman Polanski se contente d’effleurer le courant érotique qui passe entre les deux femmes, préférant se concentrer sur leur affrontement.
L’intelligentsia moquée
Car D’après une histoire vraie a beau assumer son statut de réflexion ludique sur la vérité et la fiction, on sent que le cinéaste y a trouvé des échos aux thèmes les plus profonds qui traversent son œuvre. Ici aussi, l’imagination sert à penser l’horreur de la réalité ; ici aussi, cette réalité est d’autant plus cruelle qu’elle est incertaine.
Le vertige sera de courte durée. D’abord parce que, à l’instar de Polanski, on ne prendra pas tout à fait au sérieux les affres de la créatrice, et que le cinéaste se refuse à faire monter la tension jusqu’aux sommets qu’il a pratiqués par le passé. Ensuite, parce que D’après une histoire vraie honore son titre en se moquant avec beaucoup de précision des mœurs de l’intelligentsia. Voyez ce triptyque fugace que composent l’éditrice (Josée Dayan), la galeriste (Noémie Lvovsky) et la bibliothécaire (Brigitte Roüan), ou encore le personnage gentiment fat de journaliste littéraire que compose Vincent Perez. Ils sont amusants et vraisemblables, mais un peu ennuyeux. Alors qu’Elle est inquiétante et peu réaliste, mais aussi excitante. Ils ne peuvent coexister que chez Roman Polanski.
D’après une histoire vraie, de Roman Polanski. Avec Emmanuelle Seigner, Eva Green, Vincent Perez, Josée Dayan (Fr./Pol., 2017, 100 min).