Comment l’Eswatini a mis sous contrôle la double épidémie sida-tuberculose
Comment l’Eswatini a mis sous contrôle la double épidémie sida-tuberculose
Par Adrien Barbier (Mbabane, Eswatini, envoyé spécial)
Tuberculose, jusqu’à quand ? (7) Depuis 2010, le nombre de nouveaux cas pour les deux infections a chuté de près de la moitié grâce à une mobilisation sans précédent.
Une employée de la clinique Baylor de Mbabane aide des enfants à cracher pour un dépistage de la tuberculose, à une dizaine de kilomètres de la capitale de l’Eswatini (ex-Swaziland). / Shehzad Noorani
Pour collecter le crachat d’un enfant, Godwin Mtetwa ne manque pas de ressources. « On peut utiliser un bronchodilatateur pour lui déclencher une toux. Ou lui faire un prélèvement gastrique en insérant un tube par le nez. On a toutes les tailles de tubes ! » Cet infirmier costaud mène la visite du centre pédiatrique d’excellence pour la tuberculose de Mbabane. Salle d’attente aérée et colorée, radio des poumons et test GeneXpert pour le diagnostic : l’établissement, qui dispose d’équipements dernier cri, est une référence pour le traitement de la tuberculose chez l’enfant en Eswatini (ex-Swaziland), si ce n’est dans toute l’Afrique australe. Une vision qui tranche avec l’état général des hôpitaux du royaume, où il n’existe qu’une unité de soins intensifs.
Installée sur les collines verdoyantes de la capitale, cette clinique est le fruit d’un partenariat public-privé entre l’université texane Baylor et le gouvernement swati. Parce qu’il est particulièrement difficile d’obtenir un crachat chez les enfants de moins de 5 ans, beaucoup passent sous les radars du dépistage d’une maladie qui, dans le monde, tue plus que le sida.
« On est les premiers dans le pays à avoir su comment provoquer le crachat. Depuis qu’on maîtrise les techniques, on va dans les hôpitaux et les centres de santé de tout le territoire pour former le personnel soignant », explique Godwin. Enthousiaste, il mesure les progrès réalisés ces dernières années pour enrayer l’épidémie de tuberculose, dont l’Eswatini avait il y a peu le nombre de cas par habitant le plus élevé au monde.
« Une maladie familiale »
Petit pays coincé entre le Mozambique et l’Afrique du Sud, l’ex-Swaziland est connu pour son roi excentrique, Mswati III, dernier monarque absolu d’Afrique, et pour son taux de prévalence du sida, le plus élevé de la planète. Comme ailleurs en Afrique australe, l’épidémie de VIH a été le principal moteur de celle de tuberculose, première cause de mortalité chez les séropositifs.
Contrairement aux pays voisins, où les foyers infectieux se trouvent dans des bidonvilles insalubres et surpeuplés, en Eswatini, la grande majorité de la population vit en zone rurale. « Ici, la tuberculose est avant tout une maladie familiale : une famille de cinq ou six personnes peut s’entasser dans une petite maison d’une seule pièce », précise le soignant.
En une dizaine d’années, le royaume est parvenu à inverser la tendance. La courbe du nombre annuel de nouveaux cas de tuberculose parle d’elle-même : après avoir atteint un pic en 2009-2010 avec 11 000 cas notifiés, elle tombe à 3 800 en 2016. Dans le même temps, l’épidémie de sida a également été contenue. Depuis 2010, le nombre de nouvelles infections a baissé de moitié, et la mortalité de 28 %. Le taux de patients atteints de la tuberculose et coinfectés par le VIH est, lui, passé de 80 % à 70 %.
Courbe du nombre annuel de nouveaux cas de tuberculose enregistrés au Eswatini. / Source : programme national de contrôle de la tuberculose
Résultat, l’Eswatini est sorti de la liste, dressée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des 22 pays les plus touchés par la maladie infectieuse. « Ce qui a fait la différence, c’est qu’on a d’abord compris l’ampleur du problème avant de prendre un engagement politique fort. Même le roi en a parlé », explique Debrah Vambe, du programme national de contrôle de la tuberculose, rattaché au ministère swati de la santé. En 2011, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence. « On a été capable de faire un état des lieux précis, de noter sur une feuille tout ce qui n’allait pas et d’en faire une présentation. C’est comme ça qu’on a convaincu les bailleurs de fonds comme le Fonds mondial », détaille la docteure, qui porte un tee-shirt « Stop TB ».
Bernhard Kerschberger, de Médecins sans frontières (MSF), acquiesce. « Nous avons vraiment d’excellentes relations avec le ministère de la santé », explique le chef de mission, dans les bureaux de l’organisation à Mbabane. A l’étranger, le roi Mswati III est critiqué pour son train de vie dispendieux, alors que deux tiers de la population vivent sous le seuil de pauvreté. Son régime est montré du doigt : les partis politiques ne sont pas autorisés à participer aux élections, les opposants sont régulièrement persécutés, et la presse est mise au pas. Il n’empêche, le roi reste très apprécié par la population, fière de ses traditions et de ses spécificités.
Soignants à moto
« Les ONG aiment travailler ici car il est plus facile d’y obtenir des résultats. Dans un pays plus grand, on n’aurait pas les mêmes succès », décrypte le médecin. Le royaume, qui compte 1,2 million d’habitants, est grand comme la moitié de la Belgique. Preuve que la situation n’est plus aussi critique, MSF est en train de réduire ses effectifs en Eswatini.
Sollicitée à l’origine en 2007, l’organisation s’est installée dans le sud pauvre du pays. Elle y a mis en place un programme de décentralisation et d’intégration des soins qui s’est montré particulièrement efficace. Les protocoles ont été adaptés pour que la prise d’antirétroviraux s’accompagne d’un traitement préventif de la tuberculose. Aujourd’hui, chaque centre de santé primaire offre une prise en charge combinée pour les deux infections.
L’approche communautaire est l’autre ingrédient qui a fait la différence, malgré un système de santé peu développé. Les soignants ont été équipés de motos pour pouvoir se rendre directement chez les patients. Et pour les malades atteints de tuberculose multirésistante, un accompagnement personnalisé a été instauré. « Lorsque le patient est diagnostiqué, on lui demande de trouver un partenaire pour l’accompagner tout au long du traitement. Ce dernier doit surveiller qu’il prenne bien son traitement, deux fois par jour, et il est dédommagé pour cela », explique Debrah Vambe.
Cette dynamique positive pourrait en revanche être enrayée par les difficultés budgétaires que connaît le gouvernement depuis plusieurs mois. En août, les infirmières du système public de santé sont descendues dans la rue pour protester contre leurs conditions de travail et les ruptures de stock de médicaments. L’économie de l’Eswatini, complètement imbriquée dans celle de son voisin sud-africain, subit les soubresauts de la crise des matières premières et d’une sécheresse historique qui touchent ce dernier.
Sommaire de notre série Tuberculose, jusqu’à quand ?
Le Monde Afrique propose des reportages, portraits et entretiens sur le continent pour raconter le fléau qui tue plus que le sida.
Episode 6 L’Afrique du Sud à l’avant-garde de la lutte contre la tuberculose multirésistante
Episode 5 A Johannesburg, le township de Tembisa à la pointe de la recherche sur la tuberculose
Episode 4 « En Afrique, avoir la tuberculose est aujourd’hui plus stigmatisant qu’avoir le VIH »
Episode 3 Une armée de volontaires en Ethiopie pour vaincre la tuberculose
Episode 2 A la poursuite des cas manquants de tuberculose dans les villages sénégalais
Episode 1 Au Kenya, une révolution au goût de fraise dans la lutte contre la tuberculose infantile
Présentation de notre série Tuberculose, jusqu’à quand ?
Pour l’instant, ni Baylor ni MSF n’ont été affectés par une pénurie de médicaments. Mais dans le système public les antituberculeux viennent déjà à manquer, car les fournisseurs n’ont pas été payés depuis 2017. « Vaincre une épidémie, conclut Bernhard Kerschberger, c’est comme courir un marathon : il ne faudrait pas s’arrêter au milieu ! »
Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.