Sélection albums : Carolina Katun & Teol, Elsa Dreisig, Cypress Hill…
Sélection albums : Carolina Katun & Teol, Elsa Dreisig, Cypress Hill…
A écouter cette semaine : un audacieux premier album de reprises, la révélation d’une soprano franco-danoise, un disque de rap stupéfiant…
- Elsa Dreisig
Miroir(s)
Airs d’opéra de Gounod, Massenet, Puccini, Steibelt, Rossini, Mozart, R. Strauss. Orchestre national Montpellier Occitanie, Michael Schonwandt (direction)
Pochette de l’album « Miroir(s) », d’Elsa Dreisig. / WARNER CLASSICS
A 27 ans, la soprano franco-danoise Elsa Dreisig livre un premier récital coup d’éclat en forme de manifeste. Son premier atout est incontestablement la beauté de sa voix. Technique aguerrie, palette expressive riche et inventive, son timbre fruité, pur et lumineux à la fois, sait se faire tour à tour lame et fourreau. L’album est conçu comme un jeu de miroirs autour des figures féminines de Rosine, Juliette, Manon, Salomé, délivrant de subtiles dramatugies, notamment autour de l’opéra français, où la lauréate du prestigieux prix Operalia 2016 se révèle particulièrement à son aise. Mais le morceau de choix est la scène finale de la Salomé de Richard Strauss, qu’elle chante dans sa version française, l’un des moments les plus violemment érotiques de tout le répertoire de l’opéra, qui voit la princesse de Judée « faire l’amour » avec la tête décapitée du prophète Jean-Baptiste. Tout simplement hallucinant. Elsa Dreisig voulait marquer les esprits, elle a conquis les cœurs. Marie-Aude Roux
1 CD Erato/Warner Classics.
- Stefano Gervasoni
Pas perdu
Frank Wörner (baryton-basse), Ukho Ensemble Kyiv, Luigi Gaggero (cymbalum et direction)
Pochette de l’album « Pas perdu », de Stefano Gervasoni. / WINTER & WINTER
Depuis plus de trente ans, Stefano Gervasoni trace sa voie, singulière et renouvelée, en orfèvre des sons enchâssés dans une pensée humaniste. En témoignent les trois œuvres qu’interprète ici avec maestria un ensemble basé à Kiev. Lilolela laisse croire que cet Italien, né en 1962, s’inscrit dans la tradition des grands maniéristes d’antan. Les sept miniatures qu’il a composées en 1994 sous l’égide d’un vagabondage érudit émerveillent par leur plasticité tout en titillant l’esprit. A cette page spectaculaire pour vingt-trois instruments succède le solo Pas perdu (2014), qui donne son nom à l’album. Tour à tour sablier de pèlerin et carillon de rêveur, un cymbalum se mue en guide insolite du temps. Plus austère mais non moins pénétrant, le cycle Dodici sonetti di Camoes (2007-2017), pour voix et ensemble, confirme l’aptitude du Bergamasque à se projeter dans l’inouï sans jamais s’égarer. Pierre Gervasoni
1 CD Winter & Winter.
- Ralph Thomas
Eastern Standard Time
Pochette de l’album « Eastern Standard Time », de Ralph Thomas. / BBE RECORDS / DIFFER-ANT
Saxophoniste (soprano, alto, ténor et baryton) et flûtiste, Ralph Thomas, né en 1950, à Chicago, a une longue carrière depuis le début des années 1970. D’abord proche du collectif de l’AACM, à Chicago, parti à Los Angeles en 1974, où il devient musicien de studio, voyageur permanent au sein de multiples formations, il n’a pourtant à son actif, à ce jour, qu’un album en leader, Eastern Standard Time. Lequel, enregistré en janvier 1981 et publié peu après par une petite compagnie phonographique, Zebra, vient d’être réédité par les Britanniques de BBE Records. Souffle puissant, expressif, dans un ancrage à la fois rhythm’n’blues et post-coltranien (surtout au soprano), Ralph Thomas emporte ses camarades d’enregistrement (rythmique acoustique et électrique, guitare, piano, percussion) en un tourbillon qui passe par les liens du jazz et du funk, des éléments free, des virées vers l’afro-cubain. Et que cela soit durant le court Venice, union de la flûte et du clavier, l’accrocheur Cafe Phillipp inaugural poussé par un énorme son de basse où une fantaisie quasi pop, Big Spliff, tout ici laisse entendre une exaltante spiritualité musicienne. Sylvain Siclier
1 CD BBE Records/Differ-Ant.
- Cypress Hill
Elephants on Acid
Pochette de l’album « Elephants on Acid », de Cypress Hill. / BMG RIGHTS MANAGEMENT
Les rappeurs de Cypress Hill voient des éléphants roses partout. Après avoir vendu plus de 20 millions d’albums en faisant la promotion de la marijuana sur des tempos rocks et latinos et en signant le fameux Insane in the Brain, les trois Californiens sont partis pour ce neuvième opus dans des contrées bien plus lointaines. Dès l’introduction, Tusko, ils invitent une cithare puis les derboukas sur Band of Gypsies. Là, un chanteur arabe vante les bienfaits du haschisch. Autre coin de la planète, autre drogue. La voix aigüe de B-Real et celle plus grave de Sen Dog font toujours des merveilles dans leurs pérégrinations psychédéliques. Une chanteuse soul, Brevi, les accompagne sur trois titres Oh Na Na, Crazy et Reefer Man. Leur association donne un effet presque trip-hop à des productions plutôt sombres. Dans Jesus Was a Stoner, ils font même passer le Christ pour un toxicomane et s’amusent sur le chant de Gonjasufi, un artiste délirant du label Warp. Les rappeurs vont aussi faire un tour du côté d’ Alice au pays des merveilles, Thru the Rabbit Hole où leur compositeur principal, Dj Muggs, s’essaie au jazz avant-gardiste. Les fans de Cypress Hill ne s’y retrouveront pas toujours mais loueront leur esprit aventurier. Stéphanie Binet
1 CD BMG.
- Carolina Katun & Teol
Al Silencio
Pochette de l’album « Al Silencio », de Carolina Katun & Teol. / JAZZLAND / PIAS
Signer un premier album avec un répertoire très éclectique essentiellement basé sur des reprises est déjà un risque en soi. Commencer par Paloma Negra, la ranchera mexicaine, dont Chavela Vargas avait fait un sommet d’intensité, s’attaquer à Robert Wyatt (Sea Song, l’un des titres de son inoubliable Rock Bottom, paru en 1974), Henry Purcell (When I Am Laid, l’aria Dido’s Lament de l’opéra Dido And Aeneas, qu’elle traduit en espagnol) et au poète chanteur argentin Atahualpa Yupanqui (Al Silencio) atteste d’une audace pas banale chez la jeune chanteuse mexicano-suisse Carolina Katun. La voix a beau montrer à de rares moments quelques signes de fragilité, elle s’en sort haut la main, épaulée par un trio de musiciens pertinents, Teol (Nicolas Moreaux, contrebassiste lauréat d’un Grand Prix jazz de l’Académie Charles Cros, le guitariste Pierre Perchaud, nominé aux Victoires du jazz, en 2016, Arthur Alard, aux percussions et batterie). Le pianiste norvégien Bugge Wesseltoft, qui l’a signée sur son label Jazzland, vient se glisser discrètement dans ce vagabondage. Patrick Labesse
1 CD Jazzland/PIAS.