Manifestation : « Ce gouvernement détricote nos droits »
Manifestation : « Ce gouvernement détricote nos droits »
Par Raphaëlle Besse Desmoulières, Aline Leclerc
21 500 personnes étaient réunies contre la politique d’Emmanuel Macron, mardi à Paris, selon le cabinet Occurrence, à l’appel notamment de la CGT et de FO.
A Paris le 9 octobre. / ALAIN JOCARD / AFP
Faut-il y voir une éclaircie pour le mouvement social, à l’image du ciel parisien mardi 9 octobre ? A l’appel de six syndicats, dont la CGT et FO, salariés, fonctionnaires, retraités, étudiants ou lycéens sont descendus dans la rue pour protester contre la politique d’Emmanuel Macron.
Dans la capitale, ils étaient entre 11 500 et 50 000, selon les sources. Le cabinet Occurrence, mandaté par un collectif de médias dont Le Monde, en a dénombré 21 500. C’est plus que lors de la dernière journée interprofessionnelle qui avait réuni, le 28 juin, entre 2 900 et 15 000 personnes. Au total, une centaine de manifestations – également organisées par Solidaires, et les organisations de jeunesse Fidl, UNL et Unef – ont rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes un peu partout en France, selon les décomptes de la police. Ils étaient 300 000 selon la CGT. « Une belle preuve », pour la centrale de Montreuil (Seine-Saint-Denis), que les Français « ne veulent pas de cette politique creusant les inégalités, prenant aux pauvres pour donner aux riches ».
Rares étaient ceux qui s’attendaient à ce sursaut de participation, y compris parmi les organisateurs. Avant le départ du cortège, Pascal Pavageau, secrétaire général de FO, appelait d’ailleurs à ne pas juger la mobilisation « sur les chiffres » mais sur sa capacité à « prendre date » et à « faire passer des messages ». Présent dans le carré de tête syndical avec son homologue de la CGT, Philippe Martinez, il a invité l’exécutif à retrouver « le chemin du dialogue » tout en dénonçant « une vision extrêmement dangereuse et déconnectée du modèle social ». M. Martinez a également critiqué « un gouvernement complètement à côté des réalités du peuple » et cité parmi les revendications celles des salaires et de l’emploi. A la veille d’une réunion mercredi sur les retraites, les deux leaders syndicaux ont aussi redit leur opposition à un système par points.
« Cette retraite, j’y avais droit »
Dans le cortège, beaucoup de futurs retraités inquiets de cette réforme, dont certains déguisés en « Gaulois réfractaires à la casse sociale », mais aussi des seniors déplorant l’impact de la hausse d’1,7 % de la CSG sur leur pension décidée par le gouvernement. « On est complètement pris à la gorge, s’emporte Serge Bento, 87 ans, venu défiler avec sa compagne de 76 ans. A nous deux, on perd 800 euros par an ! Sans compter qu’en plus, ils nous ont annoncé que nos retraites n’augmenteront plus autant que l’inflation ! » Et le quasi-nonagénaire d’ajouter : « Faut un certain toupet quand même : quand quelqu’un pioche 10 euros dans le porte-monnaie d’une mamie, et qu’il recommence tous les mois, on appelle ça du racket ! »
Un mécontentement partagé par Colette Maatouk, 70 ans : « J’ai travaillé quarante ans dans l’industrie pharmaceutique, cette retraite, j’y avais droit. » Plus que la somme, c’est surtout « le mépris » du président de la République ferait preuve qui l’a indignée, notamment quand il a récemment suggéré à une retraitée d’arrêter de se plaindre : « On nous traite comme si on était là que pour mendier, alors que ce pays on l’a construit. » Les saillies du chef de l’Etat, ces dernières semaines, ont visiblement marqué les esprits.
Christine Brouh, 59 ans, elle, parle de « l’irrespect qu’a Macron pour les agents de services publics de l’emploi ». Le locataire de l’Elysée avait lancé en septembre à un jeune demandeur d’emploi qu’il suffisait de traverser la rue pour trouver un travail. « Il ne reconnaît pas ce que nous faisons, alors que contrairement à lui, nous connaissons la réalité de la recherche d’emploi ! », s’emporte cette secrétaire régionale SNU-FSU de Pôle Emploi. Alors qu’une nouvelle réduction d’effectifs chez cet opérateur de l’Etat est prévue dans le budget 2019, elle s’étrangle : « Comment va-t-on faire face alors qu’on est déjà sur la corde, avec des sous-effectifs partout, des agents qui doivent accompagner jusqu’à 1 000 demandeurs ? »
« Ce gouvernement prône l’individualisme »
Les mots et les craintes sont presque les mêmes dans la bouche des infirmiers de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, chez cette professeur d’une école primaire de Colombes (Hauts-de-Seine), ou chez cette fonctionnaire territoriale de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise). Tous décrivent des effectifs à la baisse, une dégradation de leurs conditions de travail comme des services rendus aux usagers. « C’est ça la vraie inquiétude pour moi, explique cette fonctionnaire. Et quand j’entends qu’il n’y a pas assez d’argent alors qu’on supprime l’impôt sur la fortune, ça me met dans une grande colère. » Elle qui manifeste depuis huit ans constate pourtant la difficulté de mobiliser au-delà des cercles militants, malgré le mécontentement ambiant. « Les gens sont coincés dans leur problème. Ils sont de plus en plus souvent intérimaires ou en CDD, ce qui rend impossible de s’organiser, de lutter », souligne-t-elle.
« Ce gouvernement prône l’individualisme, et les gens écoutent ces beaux discours. Ils pensent que la tornade va passer et frapper la maison d’à côté, déplore Christine Brouh, de Pôle Emploi. Ce gouvernement détricote nos droits par petites touches. Et comme pour un tableau impressionniste, ce n’est qu’à la fin qu’on voit le résultat et qu’il ne nous reste plus rien. »
Parti de Montparnasse, le cortège s’est rendu dans le calme à place d’Italie, ralenti par quelques dizaines d’autonomes, vêtus de noir, le visage masqué. De rares affrontements ont éclaté, donnant lieu à l’interpellation de quatre personnes. Un manifestant et un policier ont été blessés, selon un bilan de la préfecture de police en fin d’après-midi.