Au Royaume-Uni, un nouvel outil juridique contre le blanchiment
Au Royaume-Uni, un nouvel outil juridique contre le blanchiment
Par Eric Albert (Londres, correspondance)
La justice britannique a utilisé pour la première fois une mesure anticorruption forçant la femme d’un banquier d’Azerbaïdjan à expliquer l’origine de sa fortune.
L’une des propriétés de Zamira Hajiyeva, l’épouse de Jahangir Hajiyev, ancien président de l’International Bank of Azerbaijan, dans l’opulent quartier de Mayfair, à Londres, le 10 octobre. / Simon Dawson / REUTERS
Harrods la traitait avec les plus grands égards. Zamira Hajiyeva possédait, à elle seule, trois cartes de fidélité du grand magasin londonien. Entre 2006 et 2016, elle y a dépensé 16 millions de livres sterling (18,3 millions d’euros), avec un faible pour les vins fins, ainsi que pour les bijoux Cartier et Boucheron. Au cours d’une journée particulièrement fastueuse, elle a effectué pour 150 000 livres d’achats.
Mme Hajiyeva est la femme d’un ancien banquier d’Azerbaïdjan, Jahangir Hajiyev, qui, depuis 2016, purge une peine de prison pour fraude et corruption. Mercredi 10 octobre, elle a, bien malgré elle, été l’objet d’une première judiciaire au Royaume-Uni. En effet, la National Crime Agency (NCA), l’Agence britannique de lutte contre le crime organisé, a eu recours à un unexplained wealth order (UWO, « décret sur la richesse inexpliquée »).
Ce nouvel outil juridique, réclamé depuis plusieurs années par les militants anticorruption, est entré en vigueur au mois de janvier. Il permet de renverser la charge de la preuve : au lieu de devoir prouver que l’argent utilisé est sale, ce qui est souvent difficile, la NCA peut désormais exiger d’une personne qu’elle explique l’origine de sa richesse. Elle peut le faire si les dépenses sont sans commune mesure avec ses revenus déclarés.
Détournement de fonds et fraude
L’objectif des UWO est de rendre Londres moins attractive comme place de blanchiment d’argent. La capitale britannique est connue pour abriter des milliers de grosses fortunes étrangères, qui viennent s’y mettre à l’abri. Les oligarques russes, les princes du pétrole et, donc, les banquiers azerbaïdjanais, y ont pignon sur rue, à tel point que l’association anticorruption ClampK organise des « visites guidées » des riches propriétés achetées avec des fonds à l’origine douteuse.
Le cas de Zamira Hajiyeva en est un excellent exemple. Son mari était le président de l’International Bank of Azerbaijan, une banque publique, de 2001 à 2015, lorsqu’il a soudain présenté sa démission pour « raisons de santé ». Il a été condamné l’année suivante à quinze ans d’emprisonnement pour détournement de fonds et fraude.
La NCA s’est intéressée à deux propriétés qui appartiennent à son épouse. La première est une maison d’une valeur de 11,5 millions de livres, située à deux pas de Harrods. Achetée en 2009, la propriété avait été acquise par le biais d’une société enregistrée aux îles Vierges britanniques. Selon la NCA, Mme Hajiyeva y a vécu de 2010 à 2017. La seconde propriété est un golf, Mill Ride Golf Club, acquis en 2013 pour 10,5 millions de livres. Une société enregistrée à Guernesey avait servi de paravent à cette transaction.
Zamira Hajiyeva conteste les UWO devant la justice. Ses avocats démentent formellement toute corruption et affirment que son mari était simplement un banquier très bien rémunéré, ce qui permettait au couple de mener grand train.