Les négociateurs du Brexit sont entrés ces derniers jours dans un « tunnel » de négociations, pour reprendre l’expression des porte-parole de la Commission européenne, dont ils ne devraient sortir qu’en début de semaine prochaine, juste avant un sommet européen décisif sur le divorce d’avec le Royaume-Uni, les 17 et 18 octobre. Verront-ils la lumière au bout ?

L’optimisme était plutôt de mise à Bruxelles, vendredi 12 octobre au soir, mais les diplomates préfèrent éviter les paris. La discussion se concentre sur la question irlandaise, que Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, a jugée « ultra difficile » dans une interview au Monde.

  • Un agenda millimétré

L’équipe de Michel Barnier, le négociateur en chef pour les Vingt-Sept, est à pied d’œuvre depuis la fin du congrès des Tories, au début d’octobre, pour finaliser avec les Britanniques à la fois l’accord de divorce proprement dit (reste à payer au budget de l’Union, sort des expatriés, question de la frontière irlandaise) et une déclaration politique portant sur la relation future entre les Vingt-Sept et Londres.

Ces dernières heures, les discussions se sont encore intensifiées. Les ambassadeurs des Vingt-Sept ont été informés de leur avancée vendredi soir à Bruxelles et au Luxembourg (en vidéoconférence) par l’adjointe de M. Barnier, Sabine Weyand. Elle n’est pas entrée dans le détail, par souci d’éviter les fuites risquant de faire dérailler la discussion. Les négociations entre les techniciens de M. Barnier et leurs homologues britanniques doivent se poursuivre tout ce week-end afin d’aboutir à des textes communs dimanche soir.

  • L’hypothèse d’un accord

Dans le meilleur des scénarii, ces textes seront soumis au gouvernement de Theresa May lundi matin. Si ce dernier l’avalise, Michel Barnier pourrait annoncer la nouvelle d’un compromis lors d’une conférence de presse commune, lundi après midi, en compagnie de Dominic Raab, son homologue britannique, probablement au Berlaymont, le siège de la Commission à Bruxelles.

Dans la foulée, les conseillers des vingt-sept dirigeants examineront à leur tour, et à la loupe, l’accord de divorce et la déclaration politique sur la relation future. Le lendemain, ce sera aux ministres des affaires européennes, réunis à Luxembourg, de s’emparer de ces compromis. Puis, mercredi soir, ils seront soumis aux dirigeants pour approbation finale.

Ces derniers pourraient ne s’entendre que sur une partie de l’accord — le divorce, mais pas la relation future. Ou juste sur la question irlandaise, mais pas sur celles des appellations géographiques ou de la gouvernance de l’accord de divorce, deux autres points de désaccord persistants. Auquel cas un nouveau sommet européen « spécial Brexit » devrait être convoqué à la mi-novembre, pour clore définitivement tous les différends.

  • Le « no deal » n’est pas complètement exclu

« Ceux qui mettent tous leurs pions sur l’hypothèse d’un désaccord se trompent : il faudra trouver un accord. Et je crois que nous le trouverons », déclarait M. Juncker dans Le Monde vendredi. Les milieux bruxellois étaient plutôt optimistes ces derniers jours, mais les difficultés répétées de Theresa May à convaincre son gouvernement, à rassembler à la fois les « Brexiters » et les unionistes du petit parti nord-irlandais, qui soutiennent son gouvernement au Parlement, les ont rendus très prudents.

Si à l’issue de ce week-end marathon, l’équipe Barnier n’arrive pas à stabiliser un texte commun avec les Britanniques sur la question irlandaise ou si, lundi, il n’est pas validé par le gouvernement May, la réunion des conseillers gouvernementaux des vingt-sept, lundi après-midi, pourrait être annulée. Peut-être aussi la conférence de presse de M. Barnier. Auquel cas les Européens pourraient commencer à communiquer sur un « no deal », histoire d’exercer une ultime pression sur Londres, dans l’espoir d’une dernière concession décisive avant le sommet de mercredi soir.

Des opposants au Brexit manifestent devant le Parlement à Londres, en Angleterre, le 11 octobre 2018. / HENRY NICHOLLS / REUTERS

  • La quadrature du cercle irlandaise

Les Britanniques butent depuis des mois sur la question de la frontière irlandaise, entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Comment éviter sa réapparition après le divorce (ils s’y sont engagés), alors qu’elle est théoriquement inévitable si le Royaume-Uni quitte à la fois le marché intérieur et l’Union douanière — comme le souhaitent les Brexiters ?

En décembre dernier, Michel Barnier a proposé un « backstop », une « clause de sauvegarde » pour empêcher le retour d’une frontière physique entre Irlande et Irlande du Nord, quelle que soit la relation future entre le Royaume-Uni et les Vingt-Sept. Le but est de préserver les accords de paix de 1998, qui mirent fin à trente ans de conflit armé entre unionistes et nationalistes en Irlande du Nord.

Selon le « backstop » des Européens, l’Irlande du Nord resterait, après le Brexit, dans le marché intérieur pour les biens et l’agriculture, conservant l’alignement réglementaire avec l’Union. Les contrôles douaniers devenus nécessaires pourraient alors s’effectuer, non en Irlande mais en mer d’Irlande ou dans les ports britanniques, entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. Londres, depuis le début, considère cette solution comme une violation insupportable de son intégrité territoriale.

  • Un compromis sémantique ?

Pour contourner le problème, Mme May avait proposé dans son « plan de Chequers », au début de juillet, que l’ensemble du Royaume-Uni reste dans « un arrangement douanier temporaire » avec l’Union. Cette option a été définitivement repoussée lors du sommet de Salzbourg par les Vingt-Sept, qui insistent sur un backstop garanti dans le temps. Mais Michel Barnier tente depuis quelques semaines une stratégie de « dédramatisation » : les contrôles pourraient être minimaux, les déclarations fiscales réalisées en ligne, le chargement des camions vérifié à l’aide de codes-barres, etc.

Cette stratégie de la « dédramatisation » fonctionnera-t-elle ? Les négociateurs cherchaient surtout le moyen, ces derniers temps, d’accommoder sémantiquement le souci britannique d’une solution « temporaire » avec l’insistance européenne d’un backstop « durable »…