« Joan Miro, le feu intérieur » : un peintre célébré mais secret
« Joan Miro, le feu intérieur » : un peintre célébré mais secret
Par Renaud Machart
Un documentaire revient de manière sur la vie et l’œuvre du grand peintre catalan, ami de Picasso, Calder et des surréalistes.
Le peintre Joan Miró en 1947. / Georges Platt Lynes/Pierre Matisse gallery NY1947
Inévitablement, quand on pense aux grands peintres espagnols nés à la fin du XIXe siècle, les noms de Pablo Picasso et Joan Miro viennent immédiatement à l’esprit et l’on oublie « le pauvre Juan Gris », comme disait Francis Poulenc, qui a d’ailleurs mis en musique des portraits poétiques de ces trois artistes par Paul Eluard.
Picasso et Miro se rencontrent à Paris, la ville où tant d’artistes viendront s’installer et où, selon Miro, « un triomphe, comme à Rome avant, ouvrait toutes les portes ». Amis et complices, ils n’en resteront pas moins rivaux – Picasso, de dix ans son aîné, demeurant d’ailleurs pour Miro une sorte de figure paternelle.
C’est ce que rappelle l’excellent documentaire d’Albert Solé que diffuse Arte à l’occasion de la rétrospective que le Grand Palais consacre à Miro (jusqu’au 4 février 2019), en faisant témoigner de nombreux collaborateurs et amis du peintre catalan et en le montrant s’exprimer dans un français volubile au cours d’émissions télévisuelles.
Leur duo fait penser à celui, chez les compositeurs, constitué par Maurice Ravel et Claude Debussy, pour évoquer une fois encore la musique, qui était chère à Miro. De la poésie, Miro, qui sera proche d’Eluard, de Breton et des surréalistes en général, disait : « J’avais besoin de m’en rapprocher, elle était ce qui m’intéressait par- dessus tout. »
Picasso était solaire, débraillé, homme à femmes ; Miro secret, intérieur mais ardent, tiré à quatre épingles et mari aimant de Pilar Juncosa. Miro rentrera en Espagne à l’orée de la deuxième guerre mondiale sous le régime de Franco (sans jamais y adhérer) ; Picasso restera dans Paris occupé.
Le documentaire met aussi Miro en parité avec le sculpteur américain Alexander Calder, rencontré à Paris en 1926, avec lequel il entretiendra une relation amicale et un dialogue artistique, leurs productions respectives ayant tant de points de rencontre et d’écho.
De plus en plus à l’essentiel
Joan Punyet, le petit-fils de Miro, évoque deux œuvres signées Calder et Miro installées dans les tours jumelles du World Trade Center à New York, qui disparaîtront dans l’effondrement des bâtiments après l’attaque terroriste dont elles furent l’objet en septembre 2001 : « Ils sont métaphoriquement morts ensemble. »
Les connaisseurs savent la trajectoire du peintre et son cheminement balisé de nombreuses remises en questions esthétiques. Les autres découvriront un travail voué à aller de plus en plus à l’essentiel, d’une esthétique très éloignée de celle de ces toiles (et sculptures) colorées qu’aiment tant les cartes postales – dont Picasso se moquait gentiment en disant à son ami : « Miro, à ton âge ! »
Si cette manière, dont certains lui reprochaient la naïveté, s’est parfois apparentée à un « art commercial facile et banalisé par la critique mondiale » comme le dit son petit-fils, Miro, en son temps de fréquentation surréaliste, avait parfois réduit son empreinte sur la toile à quelques signes.
Il sera plus tard profondément influencé par l’économie de la calligraphie japonaise, dont il dira qu’elle lui a « appris à [s]e resservir d’un pinceau ». Mais de l’alphabet chinois, il appréciait davantage le sens que l’esthétique.
A la fin de sa carrière, Miro jouera avec le feu, brûlant et trouant des toiles et des tapisseries, et finissant par de simples aplats monochromes voire, comme dans de merveilleuses toiles vides et « zen », par une seule ligne, tracée et retracée jusqu’à s’approcher au mieux du filigrane du silence.
« Joan Miro, le feu intérieur », documentaire d’Albert Solé (France, 2018, 52 min). www.arte.tv