Les préleveurs frondeurs de l’Agence française de lutte contre le dopage
Les préleveurs frondeurs de l’Agence française de lutte contre le dopage
Par Clément Guillou
La moitié des agents pratiquant les contrôles antidopages en France menacent de cesser leur collaboration en raison d’une perte de revenus, que l’AFLD conteste.
Un technicien du laboratoire antidopage de Châtenay-Malabry, en 2015. / FRANCK FIFE / AFP
Jean-Paul Lemaire déplie deux feuilles noircies de calculs et de noms de ville de la moitié nord de la France : il a posé là ses dix dernières missions antidopages, pour lesquelles ce pédiatre à la retraite s’est déplacé pour « faire pisser » des sportifs. Des joueurs du Paris-Saint-Germain, charmants, aux triathlètes amateurs de l’Ironman de Gravelines (Nord), qu’il faut faire uriner « au cul des voitures, dans le caniveau ». Multiplications, divisions, fractions, résultat : « Dans l’ancien système, j’étais payé en moyenne 20,22 euros net de l’heure, là, j’arrive à 15,62 euros. »
Jeudi 18 octobre, le collège de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a validé une nouvelle grille tarifaire pour les prestations de ses quelque 220 préleveurs vacataires, souvent des infirmiers ou docteurs intéressés par le sport et pour qui il s’agit d’un complément de revenu. Depuis que cette grille a été présentée à une poignée de préleveurs et a circulé par chaîne d’e-mails, les vacataires se rebiffent. « C’est souvent un boulot de chiens, le temps passé sur la route n’est pas payé et les repas ne sont pas remboursés, mais tout cela passait de plus ou moins bon gré, car on croit à la lutte antidopage, dit Jean-Paul Lemaire, préleveur depuis 1992. Mais la modification de la grille a mis le feu aux poudres. »
A compter de l’application de ces nouveaux tarifs, le 15 novembre, une grosse centaine d’entre eux se déclarera indisponible pour pratiquer des prélèvements, affirme l’un d’entre eux. Ce dernier organise la riposte sur un groupe Facebook et ne souhaite pas être cité par crainte d’une « sanction déguisée » : le non-renouvellement de son agrément. Dans un mois, il n’y aura plus, affirment les frondeurs, un seul préleveur en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 90 % d’indisponibles en Rhône-Alpes - Auvergne et dans les Hauts-de-France. En Ile-de-France, treize des quinze préleveurs vacataires entendent se déclarer indisponibles jusqu’à dix heures du matin, de sorte à perturber les contrôles inopinés sur les sportifs de haut niveau, qui ont généralement lieu entre six et huit heures.
L’AFLD ne s’inquiète pas
« J’ai reçu des e-mails d’une dizaine de préleveurs, mais les contrôles se déroulent de manière normale, répond Mathieu Téoran, secrétaire général de l’AFLD, qui conteste ce niveau de mobilisation. Je ne suis absolument pas inquiet pour la suite. »
Dans les faits, l’évaluation de la révolte des préleveurs est délicate : beaucoup étaient déjà très souvent indisponibles, compte tenu de leur profession. Certains disent ne plus vouloir répondre favorablement aux offres de mission sans pour autant s’être déclarés indisponibles, d’autres encore veulent saboter des contrôles, en acceptant des missions sans les effectuer.
« Certains ne prennent pas position, car ils ont peur de ne plus avoir de mission, complète Patricia Attard-Fleury, préleveuse dans la région Centre. Mais pour 80 % d’entre nous, on ne le fait pas pour l’argent, simplement parce qu’on croit à cette mission. »
Les contrôles en semaine seront rémunérés 70 euros chacun, plus 20 centimes par minute dès l’arrivée sur le lieu du contrôle – parfois situé à plusieurs heures de voiture. Dans l’ancien modèle, chaque contrôle en semaine était rémunéré 115 euros, avec une augmentation de 50 % au-delà de cinq heures. L’AFLD assume ne pas avoir mené de concertation avec les préleveurs avant d’annoncer sa nouvelle grille, jugée « plus juste et responsable », et qui permet notamment d’ôter cet effet de seuil.
Professionnalisation
« Je comprendrais très bien que, les règles du jeu ayant changé, certains ne soient plus intéressés. En fonction de la typologie de mission – week-end ou semaine, trente minutes ou six heures –, il y aura des gagnants et des perdants, reconnaît Mathieu Téoran. Mais cette réforme ne fait aucune économie : elle a été faite sur la base d’une simulation sur l’ensemble des missions de 2017, de manière à ce qu’on n’économise rien et que ça ne nous coûte rien. »
L’agence ne serait pas fâchée de compter moins de préleveurs mais davantage disponibles, mieux répartis sur le territoire et mieux formés, dans la perspective des Jeux olympiques 2024 à Paris. « Nous repensons notre stratégie de professionnalisation et de recrutement des préleveurs », explique Mathieu Téoran. Depuis deux ans, l’agence salarie trois préleveurs et multiplie les formations à destination des vacataires.
La tension entre l’agence et une partie de ses hommes de terrain intervient dans une période chargée pour l’AFLD et sa présidente Dominique Laurent, nommée en juillet 2017. Afin de rester conforme au Code mondial antidopage, elle a créé le mois dernier une commission des sanctions, distincte de son collège, et prépare la dissociation du laboratoire de Châtenay-Malabry, dans l’attente de son déménagement pour être rattaché à une université.