Le spectre des « rixes entre bandes » plane sur Paris et ses alentours
Le spectre des « rixes entre bandes » plane sur Paris et ses alentours
Par Nicolas Chapuis
Deux jeunes gens sont morts dans la nuit du 23 au 24 octobre à Paris et à Sarcelles dans des bagarres de rue. Et depuis janvier, le nombre de morts a explosé.
Ils n’auront jamais 18 ans. Deux adolescents sont morts, dans la nuit de mardi à mercredi 24 octobre, à Porte de Bagnolet (20e arrondissement de Paris) et dans le quartier des Sablons à Sarcelles (Val-d’Oise). Deux histoires qui n’ont rien à voir entre elles, sinon qu’elles projettent un même et sombre reflet, dans un funèbre effet de miroir. Celui d’une violence en bande, débridée, mortelle et terriblement juvénile, qui touche particulièrement l’Ile-de-France ces derniers mois.
Chaque fois qu’elle arrive sur les lieux après une rixe, la police est confrontée à la même scène. Un individu gisant sur le sol, entouré des débris de ce qui ressemble à un affrontement violent. A Sarcelles, mardi, autour du corps de Fodie, à peine 17 ans, les enquêteurs retrouvent un morceau de manche à balais et plusieurs bouts de bois, dont l’un est ensanglanté. Le jeune homme est étendu dans une mare de sang, le crâne ouvert à plusieurs endroits. Il mourra quelques minutes plus tard, à l’hôpital Beaujon. Deux personnes mineures ont été placées en garde à vue, jeudi 25 octobre, dans le cadre de l’enquête menée par la sûreté départementale du Val-d’Oise.
Boulevard Mortier à Paris, la collecte d’objets est plus éclectique, mais non moins inquiétante. Autour du corps du jeune homme de 17 ans retrouvé poignardé à l’abdomen et aux jambes, les policiers ramassent des barres de fer, des battes de base-ball, un couteau, des bombes lacrymogènes, une chaîne de vélo, une hache, des douilles de calibre 12, un projectile de « gomme-cogne », ces pistolets qui tirent des billes de caoutchouc et même… une perceuse sans fil. Ils appréhendent également trois individus, le premier âgé de 18 ans, les deux autres de vingt ans. L’un d’entre eux a des traces de sang sur lui. Ils sont placés en garde à vue et l’enquête est confiée au deuxième district de police judiciaire de Paris. L’adolescent suriné connaîtra le même sort que son compagnon d’infortune Sarcellois. Transféré à la Pitié-Salpêtrière, il succombera à ses blessures dans la nuit.
L’affrontement qui a mis aux prises une vingtaine de jeunes peu avant minuit, divisés en deux camps issus de quartiers distincts – la Place des Fêtes dans le 19e arrondissement, où résidait la victime, et le quartier Justice dans le 20e, où s’est déroulée la bagarre. Il n’en fallait pas plus pour que ressurgisse le spectre de ces « rixes entre bandes » qui plane sur la capitale et ses alentours. Depuis janvier 2018, un jeune homme a été fauché à 15 ans rue de la Roquette à Paris ; à 17 ans à Vaux-sur-Seine dans les Yvelines ; à 16 ans dans la cité Romain-Rolland à Saint-Denis ; et même à 13 ans aux Lilas…
159 bagarres depuis janvier
Parfois, il s’en faut de peu pour que l’adolescent échappe à la morgue, comme ce jeune homme de 16 ans à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise) en septembre, qui s’en est tiré avec 67 points de suture à la tête. Ou celui de 15 ans, qui a frôlé l’hémorragie cérébrale à Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne) lundi 22 octobre. Toute l’Ile-de-France est concernée par cette sinistre mode. A tel point que la Préfecture de police, le parquet, la mairie de Paris, ainsi que le rectorat, ont lancé début octobre des états généraux sur ces rixes. « Le phénomène est extrêmement complexe, je ne l’explique pas, avait reconnu à l’occasion François Molins, le procureur de Paris. Pour moi, on est totalement dans l’irrationnel. »
Selon Le Parisien, qui publie un rapport des services de police spécialisés, les forces de l’ordre ont dénombré 159 bagarres de bandes en France entre janvier et août 2018, ce qui constitue une légère hausse par rapport à 2017, avec une très forte concentration (plus de 90 %) pour la seule région Ile-de-France. Le nombre de morts a en revanche explosé. En 2017, un seul était recensé. On en compte une petite dizaine déjà cette année. Un accroissement de la violence qui interroge, même si les experts appellent à la prudence. « Les bagarres entre bande, ça a toujours existé, c’est cyclique, tempère une source policière. Il y a des outils, comme les réseaux sociaux qui permettent d’amplifier le phénomène, mais se donner rendez-vous pour se castagner, ce n’est pas récent. » Le coup de projecteur mis sur ce genre d’affaires amène aussi des interprétations hâtives, comme aux Lilas, où les causes de la mort du garçon de 13 ans (décédé d’une crise cardiaque, alors qu’il souffrait d’une insuffisance) et le lien direct avec les coups échangés ne sont pas clairement établis.
Les responsables politiques cherchent les moyens d’agir pour endiguer le phénomène. Et envoient des signaux pour indiquer aux forces de l’ordre qu’ils ont pris en compte le danger. Le nouveau ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, devait d’ailleurs se rendre sur les lieux du drame, Porte de Bagnolet dans la journée, jeudi 25 octobre. « Il faut identifier les ressorts du fonctionnement de ces rixes, pour réussir à agir dès les premiers signes de regroupement », explique-t-on Place Beauvau.
Les enquêteurs cherchent surtout à comprendre ce qui pousse ces jeunes gens à se battre. Les trafics de stupéfiants, générateurs de violence, ne semblent pas être la première raison. Ce sont plus souvent des logiques d’appartenance à un territoire qui sont à l’œuvre, sur fond de bisbilles mineures, parfois anciennes, voire oubliées. « Quand on les a en garde à vue, ils sont souvent incapables de nous dire pourquoi il y a des rivalités entre eux », raconte une source policière. Certains évoquent un différend amoureux, un désaccord financier, un regard jugé déplacé… La mort pour rien en somme.