Au Cameroun, des réfugiées « fières » de fabriquer leur charbon écolo
Au Cameroun, des réfugiées « fières » de fabriquer leur charbon écolo
Par Josiane Kouagheu (Gado-Badzéré, Cameroun, envoyée spéciale)
Dans le camp de Gado-Badzéré, où vivent plus de 25 000 Centrafricains exilés, une centaine de femmes recycle les déchets végétaux et lutte contre le déboisement.
Des réfugiées centrafricaines font sécher des briquettes de charbon dans le camp de Gado-Badzéré, dans la région Est du Cameroun, en septembre 2018. / Josiane Kouagheu
Des briquettes de charbon disposées sur de larges tamis sèchent sous le soleil ardent de septembre. Courbées tout autour, des femmes vêtues de blouses bleues les retournent en papotant. « C’est ici que nous fabriquons tout le charbon naturel de Gado », montre fièrement Fatou Ousmane, 46 ans, dans un éclat de rire.
Nous sommes au camp de réfugiés centrafricains de Gado-Badzéré, situé dans la région Est du Cameroun, à 28 km de la frontière avec la République centrafricaine (RCA).
Fatou est l’une des 91 femmes, toutes réfugiées centrafricaines, de la petite unité qui produit du charbon écologique à partir des déchets végétaux du camp. L’atelier se trouve dans un enclos planté au milieu des tentes et de maisons en terre battue. Fatou et ses « copines » travaillent du lundi au vendredi, « qu’il pleuve ou pas ».
« Nous aimons ce que nous faisons »
En ce jeudi ensoleillé, elles lèvent à peine la tête pour saluer les visiteurs de passage. Le nez et la bouche couverts par un masque, la sueur dégoulinant sur leur visage, elles carbonisent les rafles de maïs, de manioc et de bokassa séchées. Le produit obtenu est stocké dans un fût hermétiquement fermé.
Dans une marmite posée sur un four à charbon, d’autres réfugiées s’attellent à la préparation de la bouillie de manioc qui doit être mélangée aux déchets carbonisés pour les lier. Le tout passe dans un moule d’où sortiront les briquettes de charbon en forme de cylindres.
Le camp de réfugiés de Gado-Badzéré, dans la région Est du Cameroun, frontalière de la République centrafricaine. / Google Maps
« Nous aimons ce que nous faisons. Nous produisons un charbon résistant et qui n’est pas toxique, souligne Fatou Ousmane, en agitant ses doigts noircis. Nous protégeons ainsi notre environnement car nous n’allons plus en brousse pour couper du bois. »
Depuis l’éclatement, en 2013, de la crise en RCA, près de 265 000 Centrafricains se sont réfugiés au Cameroun. Plus de 25 000 sont installés dans le camp de Gado-Badzéré. Pour se réchauffer et cuire leur repas, beaucoup d’entre eux coupent du bois dans les forêts environnantes.
Viols, morsures de serpent…
Pour lutter contre ce fléau, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a mis sur pied en 2015, en partenariat avec l’ONG Lutheran World Federation, le projet de fabrication de charbon écologique. « L’objectif est de réduire la dépendance des réfugiés au bois de chauffe, car la coupe du bois n’est pas réglementée et cela a un impact négatif sur l’environnement », explique Baseme Kulimushi, chef de la sous-délégation du HCR à Bertoua, capitale de la région Est.
« Aujourd’hui, il faut parcourir au moins 3 kilomètres pour trouver du bois, car toute la forêt proche a été détruite », déplore Abdoul Razack, moniteur sur les questions d’environnement pour la Lutheran World Federation dans l’arrondissement de Garoua-Boulaï, où est situé le camp de Gado-Badzéré.
Au-delà du volet environnemental, les femmes déjà traumatisées par la guerre en RCA courent de nombreux risques en parcourant de longues distances à la recherche du combustible : viols, morsures de serpent, enlèvements…
Mairouma Oumarou, mère de neuf enfants, originaire de Yaloké en Centrafrique, est arrivée à Gado-Badzéré à la fin de l’année 2014, après avoir perdu son mari, « tué par les [milices d’autodéfense] anti-balaka ». « Un jour, je suis allée chercher du bois en forêt et des hommes ont tenté de me violer, frissonne-t-elle. J’ai eu tellement de chance ! Je me suis enfuie. » Elle marque un temps d’arrêt et lâche à voix basse, avec tristesse : « Beaucoup ont été violées. » Depuis cet incident, Mairouma a rejoint l’atelier de fabrication de charbon écologique.
Plus de 15 000 arbres plantés
Chaque semaine, les réfugiées produisent plus de 300 kg de combustible. Dans le camp, le kilo coûte 200 francs CFA (0,30 euro), contre 250 hors de l’enceinte. Le sac de 30 kg vaut 6 000 francs CFA sur le site et 7 500 francs CFA en dehors. « Pour chaque sac de charbon vendu, on reverse la moitié de la recette dans notre caisse. Cet argent sert à acheter la biomasse, le carburant, et à entretenir les machines. On se partage l’autre moitié », détaille Fatou Ousmane. Grâce à cette activité, les réfugiées s’occupent de leur famille. Car, faute de fonds suffisants, le HCR a dû réduire l’aide alimentaire : seuls les réfugiés les plus vulnérables en bénéficient. Les autres « se débrouillent comme ils peuvent ».
C’est le cas de Mairouma, qui gagne 4 500 francs CFA, et « parfois plus », par semaine. Une somme qui lui permet juste de nourrir ses enfants. « Ce n’est pas assez, admet-elle. Mais notre travail est important. Vous avez vu tous les arbres qu’on a plantés ? » En effet, pour reboiser après la destruction de la forêt, plus de 15 000 arbres ont été plantés dans le camp et dans les zones alentour. D’après Abdoul Razack, trois ans après le lancement de ce projet, la coupe de bois a été « vraiment » réduite.
Les petits fours domestiques en argile produits par les réfugiées centrafricaines sont vendus à l’intérieur et aux environs du camp de Gado-Badzéré, au Cameroun. / Josiane Kouagheu
« C’est la raison pour laquelle nous voulons autonomiser plus de réfugiées. Elles produisent aussi des fours qui sont distribués ou vendus sur le camp et en dehors. Ils contribuent également à la protection de l’environnement », se réjouit le moniteur de la Lutheran World Federation. Car ces petits fours domestiques, fabriqués avec de l’argile extraite dans le camp, sont peu gourmands en combustible et fonctionnent à merveille avec les cylindres produits par Fatou, Mairouma et leurs amies.
Dans la cour de l’atelier, Fatou rêve « du retour de la paix » dans sa Centrafrique natale. « Si je rentre, souffle-t-elle, nostalgique, je continuerai à produire du charbon écologique. »