Nouméa, le 22 novembre 2017. Faute de logements, des Calédoniens de province, pour la plupart Kanak, vivent dans des squats en marge de la ville. Ils sont près de 8000 dans cette situation. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

Reportage. Il a déjà monté un mètre de parpaings et, avant l’été austral, sa cabane disposera d’un coin douche, au sol carrelé. Avec sa compagne, Coralie, et leur petite fille de 3 ans, Gabriel Napoé, jovial Kanak à barbichette, habite dans le « squat de Nouville », sur la presqu’île de Nouméa où débarquaient jadis les bagnards. Pour lui rendre visite, il faut emprunter un chemin de terre rocailleux, noyé dans la végétation et troué de nids-de-poule. « Les gens parlent parfois des bidonvilles de Nouméa, mais ça ne correspond pas à la réalité des squats. Ici, c’est tranquille, on vit un peu comme en tribu, tous ensemble avec des Tahitiens et des Wallisiens », rectifie le jeune homme, désignant du doigt la cabane de ses parents en contrebas, celle de sa sœur plus haut, celle de son oncle et celle de son beau-frère un peu plus loin.

« On vit en famille, il y a l’odeur du feu et jamais personne n’est venu nous embêter »

Son logis se résume à une minuscule chambre aux matelas posés à même le sol et à un espace de vie couvert mais sans fenêtre, qui donne sur un jardin fleuri et une rangée de taros. « On paie l’eau courante qui a été installée, on a un groupe électrogène et j’ai même Canalsat pour que la petite regarde Disney Channel », raconte Gabriel, déplorant en revanche le gros problème de la gestion des déchets – plastiques et ferrailles – qui polluent ce cadre bucolique. « On vit en famille, il y a l’odeur du feu et jamais personne n’est venu nous embêter », renchérit Coralie, consciente que les terrains de Nouville, où vivent quelque 1400 squatteurs à 80 % Kanak, appartiennent au domaine public.

Mécanicien dans un garage de la zone industrielle de Ducos et femme de ménage à temps partiel, le couple n’a pas les moyens de se loger à Nouméa, où les prix de l’immobilier ont flambé ces dernières années, flirtant avec ceux de la Côte d’Azur. « On a acheté un pick-up à crédit mais il fallait faire un choix entre la voiture ou le toit », explique le père de famille, qui de toute façon ne voudrait « pour rien au monde, vivre en appartement dans une cité ».

« Mère nourricière »

« C’est le retour aux instincts, je vais pêcher dans le lagon en bas, on fait des cultures, il y a des papayes », explique Gabriel. Il s’insurge des prix « exorbitants dans les magasins » de Nouméa où le coût du panier de la ménagère est plus de deux fois supérieur à celui de la métropole. « A cause de la vie chère, nous, les Kanak, on commence à être individualiste, avoue-t-il. Je veux bien partager mais je suis obligé de mettre des limites. » Il regrette qu’avec la modernisation, « les Kanak rentrent trop dans le capitalisme. Je préférerais partir d’ici et aller vivre en brousse mais c’est dur d’y avoir du travail », confie Gabriel. A Nouville, il a réussi à allier la nécessité d’avoir un salaire et celle de ne pas rompre avec des codes de vie, en symbiose avec la nature.

Dépité par les profondes inégalités entre « ceux qui sont dans des cabanes et ceux qui sont tranquilles dans des villas de luxe », Gabriel n’est pas pour autant persuadé que l’indépendance réglera tous les problèmes. « J’ai envie que ce soit l’indépendance mais je n’ai pas confiance dans les politiques. Il y a trop de magouilles, de promesses jamais tenues », constate cet électeur qui « votera peut-être blanc » le 4 novembre.

En face de chez lui, Babette et Baptiste, un couple de sexagénaires originaire de l’île de Maré et installé dans une cabane en planches et en tôles à Nouville depuis 25 ans, ont eux fait leur choix sans hésiter : « On est contre l’indépendance tous les deux, la France c’est la mère nourricière », répondent-ils en chœur, du seuil de leur bicoque. Intérimaire, Baptiste, chapeau sur la tête et bébé dans les bras, vante son quotidien, « réveillé le matin par le chant des oiseaux et la vue sur la mer ». « On est bien comme ça », confie-t-il, avant de tempérer ses propos par une tirade contre la vie chère et « les cigarettes qui se vendent maintenant à l’unité 150 francs CFP (1,25 euro) ».

Macrocéphalie économique de Nouméa

Comme Gabriel, sa femme Coralie et leurs voisins Babette et Baptiste, quelque 8 à 10 000 personnes vivent en habitat précaire, aux alentours de Nouméa, dans des conditions souvent plus rudes qu’à Nouville, considéré comme « un squat de luxe ». A la Maison de l’habitat de la Province sud, plus de 7000 demandes de logement sont en souffrance. « On livre un peu moins de 800 logements sociaux par an, il en faudrait 1000. La principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés est l’opposition des communes. On doit se battre pour obtenir les permis de construire », déplore Philippe Michel, président de la Province Sud où se trouve la capitale.

Cette crise reflète la persistance de la macrocéphalie économique et démographique de Nouméa, malgré trente ans de politique de rééquilibrage. « En chiffres absolus, il n’y a pas eu de résorption des déséquilibres dans la répartition de la population. Nouméa et sa périphérie concentrent deux tiers de la population, ce qui est considérable », observe Pierre-Christophe Pantz, auteur de la thèse « Géopolitique des territoires kanak ». Ainsi en 1996, deux ans avant l’accord de Nouméa, la Province Sud comptait 134 546 habitants. Elle a bondi à 207 300, selon les données de l’Institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie au 1er janvier 2017. En revanche, sur la même période, la province des îles Loyauté, dont la vocation économique reste à inventer, a baissé de 20 877 à 18 700 personnes.

A la Maison de l’habitat de la Province sud, plus de 7000 demandes de logement sont en souffrance

Seul projet véritablement structurant construit hors de la Province Sud durant l’accord de Nouméa, l’usine métallurgique de nickel Koniambo, qui a en revanche permis à la Province Nord de gagner en population. Grâce à ce complexe industriel, fruit d’une lutte obstinée des indépendantistes kanak en 1998, la collectivité a accueilli plus de 11 000 nouveaux résidents entre 1996 et 2017 (52 500 habitants).

« L’émergence du pôle Voh-Koné-Pouembout [où se situe l’usine sur la côte ouest] est extrêmement importante. Il a notamment rapproché les habitants de la côte est, peu développée, d’un centre urbain et d’emplois », observe M. Pantz. Il insiste en outre sur la mobilité des populations urbaines, mais originaires de l’intérieur, qui retournent régulièrement chez elles, atténuant ainsi les effets de leur émigration.