A Marseille, les petits du rugby se disputent le dernier billet pour la Coupe du monde 2019
A Marseille, les petits du rugby se disputent le dernier billet pour la Coupe du monde 2019
Par Gilles Rof (Marseille, correspondant)
Canada et Allemagne sont les favoris d’un tournoi à quatre, qui dure jusqu’au 23 novembre.
Les vedettes du rugby à 7 du Kenya, intégrés à la sélection à quinze, n’ont fait illusion qu’une mi-temps, dimanche 11 novembre à Marseille, face à un Canada patient et puissant (65-19). / GERARD JULIEN / AFP
Le mont Fuji est dessiné en plein centre de la pelouse. Des bâches siglées Rugby World Cup 2019 enrobent les grillages qui entourent le stade. Mais, en ce dimanche 11 novembre, le Japon et la prochaine Coupe du monde de rugby paraissent encore très loin du stade Delort de Marseille.
A l’ombre du Vélodrome, où l’OM s’apprête au même moment à affronter Dijon en Ligue 1 devant 50 000 fans, c’est pourtant bien sur ce terrain annexe, habituellement dédié à l’athlétisme, que débute le tournoi de repêchage pour accéder au sommet du rugby mondial. En jeu, la vingtième et dernière place qualificative pour la compétition, qui se disputera du 20 septembre au 2 novembre 2019.
A Marseille, pas grand monde n’a entendu parler de l’événement. Et quand les Simbas du Kenya et les Canucks du Canada pénètrent sur le terrain sous un ciel d’orage, seulement un petit millier de spectateurs et une grosse centaine de bénévoles peuplent la tribune.
Avec Hongkong et l’Allemagne, deux autres pays émergents du rugby, Canada et Kenya profitent du changement de format imaginé par World Rugby, l’organisme international qui gère la planète ovale, pour tenter leur ultime chance.
« Créer un événement autour de ces repêchages »
Le tournoi est inédit. Jamais l’ultime qualification pour la Coupe du monde ne s’était jouée entre quatre équipes de quatre continents différents sous la forme d’un mini-championnat de trois semaines.
« C’est une façon de créer un événement autour de ces repêchages qui se disputaient en formule aller-retour, dans une certaine discrétion », reconnaît Simon Kimble, responsable du tournoi, tout juste arrivé de Dublin. « Si cela fonctionne, peut-être pourrons-nous densifier pour la prochaine Coupe du monde en ajoutant encore des équipes », anticipe le salarié de World Rugby, qui trimballe, dans un simple carton, la coupe promise au futur vainqueur.
« L’idée est aussi de valoriser ces équipes. Nous organisons une captation pour que les matchs soient retransmis dans leur pays. On fait de la promotion. Pour le dernier week-end, le président de World Rugby, Bill Beaumont, et le vice-président, Augustin Pichot, devraient être là », complète Nicolas Hourquet, délégué par la Fédération française de rugby (FFR) sur l’organisation.
Marseille a été choisie pour ses conditions climatiques, son tissu de clubs aptes à fournir des bénévoles, mais aussi parce qu’elle était une des rares villes à pouvoir mettre à disposition le même équipement trois week-ends d’affilée. La FFR a dû faire quelques travaux pour adapter le stade Delort aux normes internationales.
Ancien responsable de Rugby Europe, devenu directeur général du Stade Marseillais Université Club (SMUC), Gilles Bizot a piloté le projet. « Marseille accueillera des matchs de la Coupe du monde 2023, mais d’ici là elle recevra également les finales de Coupes d’Europe en mai 2020 et des demi-finales de Top 14. Ce tournoi est une bonne répétition. »
« Et ils sont où les Chinois ? »
Les organisateurs ont promis trois semaines de « rugby exotique que l’on n’a pas l’habitude de voir ». Ce 11 novembre, l’ambiance est bien champêtre, et les hymnes, inhabituels. Mais la première journée dévoile plutôt des sélections en marche forcée pour rejoindre le monde du rugby globalisé.
Joueurs professionnels préparés pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, staffs techniques pléthoriques et coachs anglosaxons expérimentés, comme le Gallois Kingsley Jones, champion d’Angleterre avec le Sale de Philippe Saint-André, pour le Canada, ou l’Anglais Mike Ford, ancien du RC Toulon et de Bath, pour l’Allemagne. Seul le Kenya détonne. « Certains joueurs ont pris des congés pour venir ici », rappelle le capitaine, Davis Chenge.
« Et ils sont où les Chinois ? », s’interroge un bénévole marseillais quand Hongkong entre sur la pelouse pour affronter l’équipe allemande. Avec quatorze nationalités et seulement deux joueurs d’origine asiatique, dont la star locale du rugby à 7, Salom Yiu Kam Shing, la sélection de l’ex-enclave britannique affiche un profil trompeur.
« La moitié d’entre nous sont nés à Hongkong, mais nous jouons tous dans le pays », tient à préciser James Cunningham, le blond capitaine, qui, lui, a grandi en Australie. « Quand je suis arrivé à Hongkong il y a cinq ans pour travailler, on m’a proposé de jouer au rugby, raconte le Français Thomas Lamboley, troisième ligne des Chinese Dragons et frère cadet de l’ex-Bleu Grégory Lamboley. La fédération a beaucoup de moyens et nous a tous pris sous contrat professionnel dans le but d’atteindre cette Coupe du monde. »
L’entraîneur Leigh Jones, Gallois d’origine, est, quant à lui, un ancien de l’épopée japonaise pendant la Coupe du monde 2015, avec sa victoire contre l’Afrique du Sud. « Pour nous, c’est un saut dans l’inconnu », expliquait-il avant d’arriver à Marseille.
Prime au sérieux et à la discipline
L’inconnu a eu un goût amer. Dès le premier match, son équipe, pourtant la mieux classée au niveau mondial, s’est cassé les dents sur une Allemagne autrement préparée au combat, autour de joueurs habitués aux joutes de Top 14 ou de Pro D2, comme le colosse rochelais Eric Marks ou le pilier d’Aurillac Julius Nostadt (26-9).
Car du côté du jeu, la prime est revenue au sérieux et à la discipline. Les vedettes du rugby à 7 du Kenya, intégrées à la sélection à quinze, n’ont fait illusion qu’une mi-temps face à un Canada patient et puissant (65-19), mené par le troisième ligne au look viking Evan Olmstead, des Auckland Blues, et l’ailier des Glasgow Warriors DTH Van der Merwe. L’Allemagne, elle, a déroulé un jeu reposant sur la percussion et le défi physique. « Ils ont été parfaits. Ils ont réalisé tout ce que je leur avais demandé », s’enthousiasme Mike Ford, arrivé à la tête de la sélection germanique en septembre.
Plus tard, au pied de la tribune, Grégory Lamboley, venu en famille voir son frère, évalue le niveau du tournoi à un « milieu de tableau de Pro D2 ». Pour la Coupe du monde au Japon, l’équipe qui sortira du tournoi de repêchage le 23 novembre a déjà été versée dans le groupe B. Ses adversaires seront la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, l’Italie et la Namibie. La place au paradis du rugby a aussi des allures d’enfer.